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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/727

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ques amis. Eh quoi ! lorsque le consul P. Lentulus, qui avait si bien mérité de la république et de moi, et Q. Métellus qui, bien que mon ennemi et ton parent, avait souscrit à mon retour malgré nos dissensions et tes prières, m’engageaient à venir au sénat ; lorsque cette foule de citoyens, dont le bienfait était si récent, me pressaient nommément de leur en rendre grâce, je ne serais pas venu, sûr que j’étais de ta disparition du champ de bataille avec ton armée de fugitifs ! Et tu as encore osé me traiter d’ennemi du Capitole, moi, le gardien, le défenseur et du Capitole et de tous nos temples, parce que je m’y rendais dans le temps que les consuls y réunissaient le sénat ! Est-il quelque circonstance ou il soit honteux de se rendre au sénat ? ou bien s’agissait-il d’une proposition que je dusse rejeter, en condamnant ceux qui s’en occupaient ?

IV. Je soutiens premièrement qu’il est du devoir d’un bon sénateur d’être assidu au sénat, et je ne suis pas du sentiment de ceux qui se font une règle de n’y pas venir dans les temps difficiles, sans songer que leur absence a fait beaucoup de plaisir à ceux qu’ils prétendaient mortifier. Mais, diras-tu, quelques-uns s’en sont absentés par crainte, ne croyant pas y être en sûreté. Je ne blâme personne, et n’examine point s’il y avait quelque chose à craindre : il faut, je crois, laisser chacun libre de craindre s’il veut. Mais moi, pourquoi n’ai-je pas craint ? Tu le demandes ? c’est que je te savais éloigné. Pourquoi, voyant des gens de bien qui ne se croyaient pas en sûreté dans le sénat, n’ai-je pas pensé comme eux ? Pourquoi aussi, quand j’ai cru que je ne pouvais plus être en sûreté dans Rome, n’ont-ils pas pensé comme moi ? Sera-t-il donc permis aux autres, et avec raison, de ne craindre rien pour eux, quand je crains tout pour moi ? moi seul me faudra-t-il nécessairement craindre, et pour moi, et pour les autres ?

Me blâmera-t-on de n’avoir point condamné, par mon avis, les deux consuls ? Moi, condamner ceux-la même qui venaient d’empêcher par une loi que, sans aucune condamnation, je ne subisse, pour prix de mes services, toutes les peines des condamnés ? Et quand je devrais, ainsi que tous les gens de bien, excuser jusqu’à leurs fautes en faveur de leur zèle admirable pour mon salut, ce serait moi qui aurais rejeté avec mépris et combattu leur excellent avis par un avis contraire, quand ils venaient de me rendre tous mes droits ? Mais quel avis ai-je donné ? D’abord, celui que les discours mêmes du peuple avaient imprimé dans nos esprits, ensuite celui qu’on avait agité dans le sénat les jours précédents ; enfin, celui que tout le sénat a suivi en se rangeant de mon côté : je n’ai donc proposé rien de nouveau ni d’imprévu ; et si cet avis est défectueux, la faute en est moins à celui qui l’a proposé, qu’à l’ordre entier qui l’a suivi.

Le sénat, dit-on, n’était pas libre, et la crainte enchaînait les opinions. Si vous prétendez que ceux qui se retirèrent avaient peur, convenez que ceux qui restèrent ne craignaient rien. Direz-vous qu’il ne pouvait y avoir de décret libre en l’absence des premiers ? Pourtant, quand l’assemblée fut au complet, quelqu’un voulant parler d’annuler le sénatus-consulte, on se récria tout d’une voix.