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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/92

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dire davantage ? Comme s’il était douteux que la loi sur les concussions ait été portée uniquement en faveur des alliés. Les citoyens qu’on a dépouillés de leurs biens ont ordinairement recours aux tribunaux civils, et à des juges particuliers. La loi sur les concussions est une loi sociale ; c’est le code des nations étrangères ; il leur reste encore cette citadelle, moins bien fortifiée qu’autrefois, il est vrai ; et toutefois s’il est quelque espérance qui puisse consoler nos alliés, elle l’est tout entière dans cette loi, pour laquelle le peuple romain et les nations les plus reculées demandent des gardiens sévères. Qui peut nier qu’on ne doive suivre dans l’application de la loi, la volonté de ceux pour qui on l’a portée ? La Sicile tout entière, si elle pouvait se faire entendre d’une seule voix, dirait ici : Tout ce qu’il y avait d’or, d’argent, d’ornements dans les villes, les maisons et les temples, tout ce que je devais de privilèges à la générosité du sénat et du peuple romain, vous me l’avez enlevé, Verrès ; vous me l’avez ravi, et, à ce titre, je vous demande, au nom de la loi, cent millions de sesterces. Si, dis-je, toute la province pouvait parler elle-même, voilà ce qu’elle dirait ; mais ne le pouvant pas, elle a choisi elle-même l’avocat qu’elle a jugé capable de soutenir ses droits. Et dans une affaire de cette nature il pourrait se trouver un homme assez impudent pour demander, pour désirer même, malgré la partie intéressée, de se charger de la cause d’autrui !

VI. Si les Siciliens vous disaient : Cécilius, nous ne vous connaissons pas, nous ne savons qui vous êtes ; nous ne vous avons jamais vu ; laissez-nous confier la défense de nos intérêts à un homme dont le zèle nous est connu ; ne diraient-ils pas une chose que tout le monde approuverait ? Maintenant ils disent : nous vous connaissons tous deux ; nous voulons de l’un pour défenseur ; nous ne voulons pas de l’autre. Quand même ils tairaient leurs motifs, ce silence parlerait assez ; mais ils ne les taisent pas ; et vous viendriez encore vous offrir à qui ne veut pas de vous ! Vous prendriez la parole dans une cause qui vous est étrangère ! Vous défendriez ceux qui aiment mieux être abandonnés de tout le monde que défendus par vous ! Et vous promettriez votre secours à des hommes qui ne vous croient ni la volonté ni le pouvoir de leur être utile ! Pourquoi voulez-vous leur enlever cette dernière espérance qu’ils ont placée dans la sévérité de la loi et des juges ? Pourquoi vous entremettre dans cette affaire, malgré ceux qui tiennent de la loi la liberté de choisir ? Pourquoi, après leur avoir été si peu utile quand vous étiez dans leur province, voulez-vous maintenant achever leur ruine ? Pourquoi enfin leur ôtez-vous le moyen non-seulement de demander justice, mais de déplorer leurs malheurs ? Croyez-vous, si vous êtes chargé de l’accusation, qu’un seul d’entre eux assiste à l’audience, vous qui savez bien qu’ils voudraient, non pas se venger d’un autre par vous, mais trouver quelqu’un qui les vengeât de vous-même ?

VII. Ainsi donc c’est moi seul que les Siciliens désirent. Est-il plus difficile de savoir qui Verrès redoute le plus d’avoir pour accusateur ? Personne a-t-il jamais, pour arriver aux honneurs ou sau-