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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/381

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j’écris dans le fort de mon affliction ; et l’on conviendra que, pour un malade, c’est avoir du courage que de chercher le remède et de ne pas se contenter de l’attendre. Mais s’il y a quelqu’un à qui la douleur ait affaibli l’esprit au point de ne pas se rendre aux raisons que j’ai déduites jusqu’ici, qu’il se souvienne au moins qu’il est homme, et qu’il n’y a rien de si naturel à l’homme que la mort. Si même il était possible de l’en exempter, son état approcherait plus de la nature divine que de la nature humaine : le nom d’homme ne lui conviendrait plus, parce qu’il ne participerait plus à la commune et principale condition sous laquelle il est venu à la lumière. Qu’il se persuade en second lieu de la superfluité de ses larmes. Si elles étaient de quelque utilité, ce ne serait pas assez qu’il versât toutes les siennes, on lui pardonnerait d’avoir recours à celles des autres. Enfin, qu’il tienne pour certain qu’une douleur immodérée n’est pas seulement injuste, mais qu’elle est déshonorante ; et le déshonneur est pire que la douleur. Pourquoi ? c’est que celle-ci est propre à l’homme et ne lui imprime aucune tache, au lieu que l’autre est haïssable, en ce qu’il blesse la bienséance, et qu’il y a toujours de notre faute. Or, toute douleur immodérée est déshonorante et dégrade l’homme ; car c’est de son consentement qu’elle arrive à cet excès. Là commence la faute, et c’est cette faute qu’on doit éviter, de peur qu’en résistant trop mollement aux pensées tristes auxquelles ceux qui aiment éperdument sont sujets à s’abandonner, les facultés de notre âme ne perdent leur ressort, et que nous ne devenions semblables à des femmes. Suivons plutôt le conseil d’Homère :

Garde-toi de fléchir ; résiste à la douleur ;
Des revers plus cruels n’ont point brisé ton cœur.