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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/401

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d’irrésolutions, que de mouvements, que d’inquiétudes ! On peut le dire, il n’est pas un seul instant libre de soucis, sa condition est celle d’un esclave. L’esclave ne saurait plaire à son maître ni rendre son état supportable, qu’il ne se conforme en tout à ses mœurs, à sa volonté, à ses caprices : de même l’ambitieux ne saurait parvenir à son but que par une souplesse toute semblable à capter un peuple avare, envieux, ignorant, léger, et surtout ingrat. Il lui suffit d’y songer pour s’avouer malheureux, et pour reconnaître avec un de nos vieux poètes, que

Le souverain des dieux répand à pleines mains
La tristesse et le deuil sur les jours des humains.

Ainsi, tant que nous avons les yeux ouverts à la lumière, nous croyons vivre ; mais notre vie est bien plutôt une mort continuelle, ou du moins nous ne retenons que l’ombre de la vie que nous avons effectivement perdue. Pour moi, je ne vois pas ce qu’il y a de fort à désirer dans la vie, ni quelle espèce de bonheur on peut s’en promettre : ce que je sais, c’est qu’il y a eu des hommes qui, pour se dérober à des maux plus grands que ceux auxquels nous sommes journellement exposés, se sont, de propos délibéré, donné la mort ; en quoi je n’ai garde de les approuver : je ne veux que montrer de combien d’épines est hérissée cette vie mortelle. Cléomène(9), roi des Lacédémoniens, et son fils, en se l’étant, Théagène(10) de Numance, qui en usa de même, tant à son égard qu’à l’égard des siens, plutôt que de tomber entre les mains des ennemis, que firent-ils que de nous prouver combien la vie est méprisable ? S’il n’était pas, en quelque sorte, honteux à des hommes de prendre exemple sur un sexe beaucoup plus faible,