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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/413

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nement était dans l’ordre de la nature ? Mais que seraient devenus la gravité, le jugement et la sagesse du philosophe ? et quelle différence y aurait-il à faire entre lui et un ignorant pris au hasard dans la foule ? Il y en a même souvent et beaucoup de ces derniers qui ne se font pas un sujet de chagrin des choses qui arrivent nécessairement, et à qui il suffit qu’elles soient communes à toute l’espèce pour ne s’en pas mettre en peine. Anaxagore, en vrai philosophe, ne fut point troublé à cette annonce imprévue, et il n’interrompit sa discussion que pour proférer une sentence pleine de courage et de sagesse. Je désirerais fort de rendre un pareil témoignage de plusieurs des nôtres, qu’au moment de quelque mort semblable on ne voit pas moins consternés que s’ils avaient à gémir d’une chose qui ne fût arrivée à personne avant eux, ou qui n’eût pas dû leur arriver à eux-mêmes, sinon en ce temps-là, du moins quelques années après : on les voit, dis-je, dans l’âge où ils devraient avoir plus de vigueur d’esprit, dégénérer de la vertu de leurs pères et de la leur propre, oublier sous quelle condition ils sont nés, s’oublier eux-mêmes, tant la mollesse a pris d’empire sur eux ; tant, par une suite nécessaire de cette servitude, ils sont délicats et faibles. Pour moi, je ne saurais reconnaître pour libre celui qui se laisse maîtriser par la douleur ; qu’un accident soudain frappe, étonne, renverse ; qui devient incapable de penser et de réfléchir ; et qui, n’ayant aucune ressource en lui-même, attend tout du temps et de la fortune. Quelque légère que paraisse cette dépendance, c’est trop peu que de lui donner le nom de servitude ; je l’appellerais plutôt captivité, et captivité dure : car en quoi diffère un homme qui, ayant été pris par les ennemis, est chargé de chaînes et renfermé