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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/55

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DE LA VIEILLESSE.

J’aime aussi, comme Socrate dans le Banquet de Xénophon, à boire dans ces petits verres qui ne font qu’arroser le gosier, devant le feu ou au soleil en hiver, et au frais en été. C’est ainsi que j’ai coutume de vivre à ma campagne de Sabine : je suis tous les jours en festin avec mes voisins, et tout en discourant sur divers sujets, nous prolongeons ces assemblées aussi avant dans la nuit que nous pouvons(21).

Les plaisirs, dira-t-on, sont moins piquants dans la vieillesse. Je le crois ; mais aussi nous n’avons pas les mêmes désirs. Or, on ne regrette point ce qu’on ne désire plus[1]. Voici une belle réponse de Sophocle à quelqu’un qui lui demandait s’il jouissait encore des plaisirs de l’amour : Que les dieux veuillent m’en préserver ! répondit-il ; je m’y suis soustrait de bon cœur, comme au joug d’un maître sauvage et furieux. Pour ceux qui sont avides de ces choses-là, il peut être fâcheux et pénible d’en être privé ; mais quand la satiété est venue, la privation est préférable à la jouissance, si l’on peut appeler privation l’absence d’une chose qu’on ne désire point. Je dirai donc qu’en cela, ne point désirer vaut mieux que jouir. Que si, dans le bel âge, on se livre plus volontiers à ces plaisirs, je dirai encore, comme je l’ai déjà fait, que ces plaisirs sont bien peu de chose, et que la vieillesse, pour en jouir moins, n’en est pas entièrement privée. Lorsque l’acteur Ambivius Turpio(22) se fait entendre, ceux qui se trouvent placés aux premiers rangs ont sans doute le plus de plaisir ; mais ceux-là en ont aussi qui sont aux derniers. De même l’adolescence, qui se trouve plus à portée des plaisirs, en jouit peut-être mieux ; mais les vieillards,

  1. « Les privations ne sont point sensibles quand le désir est éteint. Tous les goûts passent, même le goût de la vie. » Mme de Lambert.