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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/77

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DE LA VIEILLESSE.

actions. Les heures disparaissent, ainsi que les jours, et les mois, et les années ; le temps passé ne revient plus, et l’on ne peut connaître l’avenir. Chacun doit être satisfait du temps qu’il lui est donné de vivre. Il n’est pas nécessaire qu’un acteur joue toute la pièce pour être applaudi ; qu’il joue bien son rôle, et c’est assez : de même le sage n’a pas besoin d’arriver jusqu’à la fin du dernier acte de la vie ; et, quelque courte qu’elle soit, elle est encore assez longue pour bien vivre. Que si vous vivez plus long-temps, vous ne devez pas plus en être fâché que l’agriculteur ne l’est, après avoir joui des douceurs du printemps, d’arriver à l’été et à l’automne. Le printemps est comme la jeunesse ; il nous donne l’espérance des fruits, dont la récolte est destinée à d’autres saisons. Les fruits de la vieillesse sont, comme je l’ai dit plusieurs fois, le souvenir et la jouissance de tout le bien qu’on a éprouvé dans la vie ; et nous devons mettre au rang des biens tout ce qui arrive selon la nature. Or, qu’y a-t-il de plus conforme à ses lois, que de mourir quand on est vieux ? Il semble, au contraire, quand les jeunes gens meurent, que la nature est en contradiction avec elle-même. Aussi je compare leur mort à l’extinction de la flamme qu’on n’étouffe qu’à force d’eau, tandis que le vieillard, ainsi qu’un feu épuisé, s’éteint de lui-même et sans effort. Les fruits ne s’arrachent de l’arbre qu’avec peine lorsqu’ils sont verts, et tombent d’eux-mêmes quand ils sont mûrs ; ainsi la mort est comme l’effet de la violence dans les jeunes gens, et celui de la maturité dans les vieillards. Cette pensée m’est si agréable, que plus j’approche de la mort, plus tôt il me semble, pour ainsi dire, que je découvrirai la terre, et toucherai au port où je dois enfin arriver après une longue navigation.