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Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/101

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LA RÉVOLUTION

Mme Roland avait toujours montré que, femme, elle transportait sur le terrain politique ses goûts et ses dégoûts. Partie d’un plan trop idéaliste, elle avait subi, dans la pratique des hommes, des déceptions qui l’avaient rendue de moins en moins propre aux vues d’ensemble et portée à l’esprit de coterie. Auprès de ses amis elle retrouvait avec ivresse, dans sa pureté première, le point de départ où elle voulait de toutes ses forces se maintenir, et eux avec elle. Elle confondait d’un côté ses amis avec son parti, de l’autre ses ennemis avec le parti de ses adversaires. Austère et puritaine, naturellement portée à la « vertu », elle qui n’aimait pas Vergniaud, trop voluptueux et trop nonchalant pour un programme de « rigueurs », comment n’eût-elle pas été soulevée contre un tribun grossier, aux instincts violents et jouisseurs, accessible aux tentations de l’ordre le plus bas. Nous pardonnons beaucoup à Danton en faveur des grandes réussites de son génie patriotique. Elles n’étaient guère encore qu’en puissance. Voilà ce qu’il faut bien voir pour juger correctement entre Mme Roland et lui. Il est probable qu’elle avait fini par se considérer comme une vivante statue de la Liberté, à force d’entendre le chœur des Girondins chanter en rondes mélancoliques, autour de son piédestal, les mots sublimes qu’involontairement elle s’appliquait sans doute :

Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs.

Elle était aussi une personne parfaitement bien élevée, une dame aux manières courtoises et gracieuses. La vulgarité du parti adverse devait la blesser au vif en de certains points sensibles qui, chez les femmes pures comme elle était, ne se cicatrisent guère. La tenue qu’observait Robespierre l’avait sans doute égarée un peu plus longtemps sur lui que sur d’autres. Elle avait besoin de respects, et même d’hommages. Ses amis l’y avaient accoutumée. Elle dut souffrir cruellement des indignes attaques de la presse. L’état de passion violente où elle vivait n’était pas favorable non plus à un apaisement qui à ses yeux, eût fait figure de lâcheté ! Enfin, bien des sentiments s’aigrissaient dans ce grand cœur qui rêvait de perfection