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Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/107

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LA RÉVOLUTION

s’apercevoir au commencement de l’hiver de 1792 que quelque chose avait changé en elle. La jalousie de Lanthenas ne s’y était pas trompée. Depuis l’automne, la résistance qu’elle avait jusqu’alors opposée aux passions de l’amour avait faibli : elle aimait Buzot.

Dès qu’elle en fut sûre, elle prévint Roland avec la rude probité d’une femme qui ne s’abaissera pas à la tromperie et qui croit exercer son droit, du moment qu’elle s’engage à une stricte fidélité. D’ailleurs, si elle a involontairement donné son amour, elle est résolue à garder intacts son dévouement et sa tendresse à un « vénérable vieillard » qu’elle respecte et n’a pas cessé de chérir. Mme Roland, jusqu’à la fin de sa vie, crut voir en son mari un homme supérieur aussi bien qu’un travailleur infatigable « qui pourrait facilement gouverner un empire ». Longtemps elle avait fait passer sa conviction dans le jugement de ses amis, mais quand ils n’en furent plus si certains, c’est à peine si elle eût voulu le voir mettre parfois un peu plus d’art dans son « inflexibilité ». À la veille de mourir, c’est le seul amendement qu’elle propose à ses dithyrambes.

Un mot d’elle montre, comme on l’a déjà remarqué, l’état de son cœur et de sa conscience dans le trouble de l’amour naissant :

« Au mois d’octobre (1792), dit-elle, je n’ambitionnais que de conserver mon âme pure et de voir la gloire de mon mari intacte. » C’est en septembre (au plus tôt) que son cœur avait changé.

Cet amour contentait son idéal de stoïcisme, exerçait sa force d’âme et sa gravité, et donnait le plein vol aux aspirations secrètes d’un caractère qui croyait se devoir de rester, en permanence, supérieur aux événements.

Parmi tous ceux qui l’entouraient, Buzot était le seul, peut-être, qui lui parût un égal. N’oublions pas l’éclat d’orgueil qui la porta à dire, dans ses Mémoires, qu’elle entendait « se défendre de toute affection qui n’eût point été à la hauteur de sa destinée ». Oui, c’est parfaitement cela.

Mme Roland honorait sa vocation. Elle ne se composait pas une figure historique — elle était trop intelligente pour cela,