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Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/68

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MADAME ROLAND

nades philosophiques que Bosc menait le dimanche, tout en herborisant, à travers la forêt de Montmorency.

Ces hommes, profondément imprégnés des idées de Jean-Jacques, agitaient alors un grand projet. Ils rêvaient d’acheter un des vastes domaines ecclésiastiques qui allaient être vendus à titre de « Bien national », et d’y fonder une « Société agricole ou d’amis », dont nous avons le plan, écrit tout entier de la main de Brissot. Ils auraient vécu là comme les bergers en Arcadie, « philosophant, répandant les lumières » et cultivant leurs champs d’après les principes américains dont Saint-John de Crèvecœur venait de faire la dernière mode de Paris.

Lanthenas pensa que Bancal, qui était riche, serait une bonne recrue pour la future Société et communiqua son idée aux Roland.

C’est ainsi que la correspondance s’engagea entre Mme Roland et Bancal qui avait fixé son centre d’action à Clermont-Ferrand. Invité à venir au Clos, il jugea que cette offre s’accordait avec son projet de parcourir les provinces comme un apôtre de la Liberté, en prêchant le nouvel évangile.

Au Clos, l’ami de Bosc et de Lanthenas était attendu avec impatience.

Un penchant mutuel les conduisit rapidement Mme Roland et lui à une douce familiarité. Dans les longues promenades où ils goûtaient le plaisir délicieux de se reconnaître des âmes fraternelles, ils ne parlaient pas seulement du progrès des idées révolutionnaires, ils s’attendrissaient devant les spectacles de la nature, ils faisaient des rêves :

Les bons esprits, disait la jeune femme, devraient se réunir pour arrêter le plan de la législature actuelle. À Lyon j’ai vu l’autre jour l’effrayant drapeau rouge suspendu à l’Hôtel Commun dont les entrées étaient gardées par des dragons et des Suisses. Mon cœur s’est serré à cet aspect. J’ai gémi sur le peuple abusé. Mon cœur saigne de tout ce que je prévois.

— Apaisez-vous, ma digne amie, je vous en conjure, s’écriait le jeune homme dont les yeux étaient prêts à se mouiller de