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Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/78

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MADAME ROLAND

l’avait portée. Maintenant que les bases de la Constitution sont posées, elle regarde faire les législateurs qu’elle s’est donnés. Ceux-ci, abandonnés à leurs propres facultés, ne sont plus généralement que les hommes médiocres ou corrompus du régime passé.

Elle n’a pas « le courage de dire tout le mal qu’elle pense de l’Assemblée, mais elle est persuadée qu’il ne faut en attendre que de funestes décrets ». Et encore :

Dans l’Assemblée, il n’y a pas du côté gauche un seul homme à caractère… Ils sont occupés de petits intérêts personnels et, en vérité, ils sont tous des hommes médiocres quant aux talents mêmes. Ce n’est pas l’esprit qui leur manque, c’est l’âme[1].

Louis XVI signe la Constitution le 14 septembre 1791. Mme Roland s’insurge contre les traces d’ancien régime[2] qui ont été conservées pour obtenir le seing royal. Mais le public n’a pas sa clairvoyance. Il ne sait pas que, revenant de la séance solennelle où il avait engagé son honneur, ce roi avait envoyé le soir même un courrier secret à l’empereur Léopold pour appeler les Autrichiens en France.

Une immense rumeur de jubilation grandit d’un bout à l’autre du pays. On s’embrasse, on danse. Tout le monde croit que la Révolution est terminée, qu’il n’y aura pas de guerre et que le peuple français va enfin pouvoir jouir de ses conquêtes.

Dans le désarroi de ses grands espoirs, Mme Roland, humiliée, déçue, semble douloureusement se traîner à terre comme l’oiseau capturé qui, à la place de ses grandes ailes, ne se sent plus que des moignons sanglants. Amère confrontation des rêves et de la réalité !

Cependant, son courage est toujours prêt à rebondir et pour une heure, elle sort de son abattement quand l’Assemblée décide qu’aucun de ses membres ne sera rééligible. Ce mouvement — les doctrinaires de la Révolution aimèrent toujours les gestes de théâtre — décoratif dans la théorie, absurde

  1. C’est l’auteur qui souligne.
  2. Notamment le droit de veto.