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Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/84

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MADAME ROLAND

femme vulgaire qui se grise de vanités chétives, mais parce que l’événement allait la mettre en mesure d’exercer une action efficace et personnelle à travers un entourage et un mari qui, en aucune occasion, ne pouvaient se passer de son talent et de ses conseils.

Roland, entouré par sa femme de soins exacts et diligents, se portait mieux que jadis, mais avait cependant beaucoup vieilli.

Un portrait gravé, qui fut exécuté à cette époque, le montre de trois quarts dans un cadre ovale. Le visage est osseux ; les cheveux plantés en rond, presque au milieu du crâne, et rejetés en arrière, découvrent un front qui n’en finit pas et tombent en boucles maigres de chaque côté du visage. Le nez est mince et pointu, les lèvres serrées sur une ligne amincie, l’œil a quelque chose de hagard. Le ministre de l’Intérieur porte l’habit croisé et boutonné sous de vastes revers. Le col de la chemise, largement échancrée, se fronce en tuyaux nombreux pour découvrir un cou décharné comme le visage.

Roland était « vertueux », nous le savons. Il l’a assez répété. Quel effet produisait-il sur ses contemporains ? Il est croyable que sa « rigidité » ostentatoire était surtout très ennuyeuse. Quand il était jeune, ses amis l’appelaient déjà « Thalès ». Tout le monde le comparait à Caton dans son vieil âge. M. Madelin pense qu’il ennuyait terriblement sa femme. Mais elle était trop sincère pour s’en cacher et, si c’était vrai, nous le saurions d’une manière positive. La vérité est qu’elle l’admirait — elle l’a répété jusqu’à la fin — qu’elle le respectait et le chérissait de tout son cœur. Qu’Eudora ait dit vers ses six ou sept ans : « Ce papa me gronde toujours, cela m’ennuie, » nous le savons par une lettre de sa mère, mais ce n’est là qu’un mot d’enfant et il paraît singulier qu’un historien de cette valeur en ait fait état. D’ailleurs, la petite avait une préférence pour son père, — Mme Roland exigeait trop d’elle et ne se consolait pas de chercher inutilement dans sa fille l’enfant prodige qu’elle-même avait été.


M. et Mme Roland quittèrent la rue Guénégaud pour le ministère de l’Intérieur, alors installé rue Neuve-des-Petits-