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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/128

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LES HOMMES, LES DIEUX

des choses ne nous offrait pas une assez belle occasion d’admirer ?

Toutes facilités pour le rêve, libre oiseau de l’espace infini. Tout le poids du plus ingrat labeur pour soutenir et régler l’élan de la pensée dans le cadre rigide où l’enferme l’inflexible loi de nos relativités. En faut-il davantage pour expliquer que les intelligences de tout ordre se trouvent généralement prêtes à suivre le vol des rêveries, et que la sévérité de la connaissance positive nous rejette à l’ambition vulgaire d’une Révélation d’emblée, hors des douleurs d’infructueux efforts. Trop bien s’explique-t-il ainsi que l’indolence orientale s’attache, de prime élan, aux enivrantes épopées de ses théologies, dût-elle s’aider du pavot et du chanvre, tandis que notre empirisme se contente de réduire à nos mesures les hallucinations de l’Asie.

Quoi de plus tentant que le rêve pour nous porter de la naissance à la mort sur le fragile pont de l’abîme, sans le fastidieux recours du balancier de la pensée ? À nous les drogues magiques qui nous donneront la vie heureuse vainement sollicitée du Cosmos indifférent. Avec ou sans poison, n’est-ce pas la conclusion à laquelle on nous mène, quand on repousse les données positives de la connaissance en alléguant qu’elles ne nous procurent pas les satisfactions souhaitées ? Que ces satisfactions nous viennent du narcotisme ou des pompes cultuelles, qu’importent les artifices d’émotivités ? Le rêveur cherche l’épanouissement de son rêve le plus loin possible du modeste horizon planétaire auquel il ne peut échapper. Les développements artificiels d’émotivités qui amènent l’homme à opposer ingénument son recours de faiblesse aux déterminations du Cosmos ne sont que jeux du moindre effort, c’est-à-dire victoires de lâcheté.