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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/139

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AU SOIR DE LA PENSÉE

intérêts sociaux qui s’y trouvent rattachés. Du premier fétiche à Agni, à Indra, à Brahma, à Jahveh, à Zeus, au Bouddha, au Galiléen, au Dieu purement verbal de la métaphysique panthéiste, quelle distance parcourue ! Le dernier mot de Spinoza, avec son « Dieu » dans les fers de lois infrangibles, ne va pas beaucoup au delà d’une figuration de zéro. L’Atman, le Brahman, l’Être universel, plus ou moins déterminé, des métaphysiques de l’Inde se présentent à l’état de ces innocentes statues de neige qui fondent au soleil.

Qu’est-ce que l’« erreur » ? Une hypothèse dépassée. J’irais volontiers jusqu’à dire que notre « vérité », puisqu’elle ne peut être totale, garde une partie d’ « erreur » à délimiter, Qui n’atteint pas l’absolu doit faire la part d’une assimilation insuffisante en des opérations de relativité. Ceci dit pour l’excuse des Dieux qui, tels quels, ne pouvaient pas ne pas être puisqu’ils ont été, et même sont presque encore, malgré l’impunité, si chèrement acquise, de leurs « blasphémateurs ».

Que dire des tout premiers Dieux innommés, innommables, issus de la nuit des choses pour y retomber, un jour, n’ayant pas même laissé la trace d’un souvenir d’obscurité ? Une pierre, un rocher, un arbre, une bête, un nuage, quelque chose qui, pour nous d’aujourd’hui, passe inaperçu. L’ « Omphalos » de Delphes, le rocher du temple de Salomon, la pierre noire de Pessinonte, la pierre noire de Romulus, encore sous nos yeux comme la pierre noire de la Kaaba, furent des achèvements de Divinités. Nous les rencontrons en foule dans l’Inde qui superpose tous les cultes, syncrétisant toutes les Puissances du monde jusqu’à leur refuser, d’où qu’elles arrivent, la discourtoisie de les nier. Rien de plus embarrassant pour l’esprit simpliste de nos missionnaires[1].

  1. Je me permets d’ajouter, à ce propos, que nos missions catholiques ne sont pas même d’un effet appréciable pour la propagande de la langue française dans l’Inde où l’enseignement se fait en anglais. Une classe de français dans les écoles n’avance pas plus les affaires qu’une classe d’anglais dans nos lycées. Un ancien missionnaire français qui a quitté son institut avec l’approbation de ses supérieurs, et qui est devenu un excellent conservateur des antiquités birmanes, n’a pu apprendre le français à sa femme, ni à ses enfants. À Ceylan, où j’ai présidé une fête de gymnastique d’une école de missionnaires français, avec l’évêque à mon côté, celui-ci, pur Français, m’a adressé en anglais