Aller au contenu

Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
LES DIEUX, LES LOIS

pré- à des autodafés. Cela paraît fini. Cependant, les autodafés de « l’enfer » ne finiront jamais.

L’or, l’argent, les pierres précieuses, sont encore de don courant à l’autel depuis les âges les plus reculés, sans que personne, aujourd’hui même, ose se demander comment une matière quelconque peut être d’un plus haut prix qu’une autre pour le fabricateur souverain de tout ce qui est[1]. Et s’il ne s’agit que d’éblouir les foules, peut-il être une plus basse leçon de choses pour un peuple à qui l’on enseigne, au rebours des communes pratiques, la vertu de la pauvreté.

Trop manifestement, tout ce faste ne pouvait aboutir qu’à des négociations de monnaie. Cérémonies de pauvres, cérémonies de riches, s’il en peut être quelque effet au céleste séjour, comment « le fils de l’homme », qui n’avait « pas une pierre où reposer sa tête », peut-il attribuer de tels avantages aux trésors de ce monde, source, dit l’Évangile, de toute iniquité ?

Ce n’est pas que la morale des Dieux et la morale humaine aient nécessairement marché de compagnie. Le Dieu avait la force qui règle tous les comptes, et l’homme ne pouvait que se rendre au bon plaisir divin. Dès les premiers jours, les Dieux, sans plus attendre, sont entrés irrésistiblement dans les activités à la mesure des temps de sauvagerie où ils ont apparu. Ce qu’ils ont été créés pour faire, ils l’ont fait, ils continuent de le faire, changeant avec l’évolution de leurs humains créateurs, mais d’un rythme plus lent parce qu’une stabilité supérieure est le premier attribut du divin. C’est donc l’homme qui imposera inconsciemment la douceur (l’humanité) à ses maîtres d’en haut. La pitié humaine éteindra les bûchers en dépit de la prédication religieuse. Quand Artémis renonce au sang d’Iphigénie, comme Jahveh d’Isaac, qu’y voir sinon l’effet d’un attendrissement humain qui ne peut plus tolérer l’antique barbarie. Il faudra bien que les Dieux évoluent à la mesure de l’homme, guettés de l’universel déterminisme qui doit leur imposer à tous, de

  1. Le chrétien allègue, bien entendu, qu’il se propose si simplement de sacrifier à l'Être universel ce qu’il a de plus précieux. Il reste toujours à savoir où peut être le plaisir, pour le Seigneur suprême, de recevoir ce qu’il possède déjà. Enfin quiconque est vraiment obsédé de l’idée du sacrifice demeure libre de prodiguer son or utilement aux mains des misérables, au lieu d’en consacrer la stérile magnificence à l’absurde magnification de son Dieu qui ne peut pas grandir.