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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/159

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AU SOIR DE LA PENSÉE

« sacrifices » où ne s’exprime un intérêt de personnalité ? Et le plus somptueux de notre rôle n’est-il pas dans la prédication de vertus toujours faciles à recommander ? Hélas ! le problème est moins de les dire que de les pratiquer !

Pour l’origine de nos préceptes de sublimité, on comprend assez bien qu’il ait paru plus glorieux de les recevoir d’une Divinité que d’y reconnaître le prosaïque développement des premiers schémas d’organismes ancestraux. Mais nos théologiens ne veulent connaître du monde que ce qui ne relève pas de l’observation. Construire une morale de l’homme sur les données de la condition humaine ; l’idée n’en pouvait pas venir à des esprits saturés de divinisations.

Au fond, de quoi s’agit-il, sinon tout simplement d’arriver, par un ordre d’activités mentales progressivement développées, à obtenir des hommes l’effort de comprendre que le bien-être, la sécurité, le rationnel développement des existences associées sont dans la dépendance étroite du bien-être, de la sécurité, du rationnel développement de chacun ? N’est-ce pas l’origine de cette conception du droit dont notre Révolution fit tant de tapage, au moment même où elle le méconnaissait si gravement par ses échafauds ?

Le droit, encore, ne se peut-il réaliser que par l’ultime sanction de la force. Et la force ayant jusqu’ici dominé le monde aux dépens du droit, il en résulte que le véritable problème est toujours d’amener l’homme à se préoccuper moins des mots que des actes qu’ils obscurcissent à tout moment. « Ne pouvant fortifier la justice, ils ont justifié la force, » a prononcé Pascal. Identifier le droit et la force c’est tout le problème politique et social. Est-ce donc ravaler l’homme que de le juger capable d’une haute entreprise, même si le succès ne devait pas toujours être en proportion de ses efforts ?

Au-dessus du droit formel qui doit dire l’égal rationnement d’équité pour chacun, il y a l’altruisme par lequel chacun peut s’essayer au don de quelque-chose de lui-même en faveur de son prochain moins heureusement partagé. Le malheur est qu’au contraire d’une direction générale en ce sens, nous voyons trop souvent l’égoïsme commun dilaté jusqu’aux perpétuelles entreprises sur le droit d’autrui. Abondante matière à philosopher quand les mots de charité sont pompeusement inscrits à toutes