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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/268

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CONNAÎTRE

Non qu’il y ait à proscrire les assouplissements de pénétrations intellectuelles, comme faisait Auguste Comte, dans l’esprit, d’une tradition qui prétendait imposer des cadres inflexibles aux activités de l’entendement. Qui donc oserait dire que nos vérités d’aujourd’hui sont sans fissures ? Un métaphysicien même — il en est d’éminents — peut ouvrir la voie à des aspects de relativité, fût-ce par distraction. Où et comment qu’un élan de connaître se donne carrière, il faut laisser ses chances a tout essai de penser.

Nos ancêtres inglorieux, mais superbes, n’avaient ni le temps ni les moyens de s’arrêter a d’autres vues générales que d’imagination. Il leur fallait, surtout, pour les besoins de leur journée, une interprétation, telle quelle, de ce qu’ils pouvaient découvrir du monde, au contact de leurs insuffisances héréditaires. N’en médisons pas, car ce fut de cette première opération mentale que surgit la plus haute manifestation de la planète — l’homme pensant de nos jours.

De quel point de vue l’obnubilation de ces âges pouvait-elle donc considérer l’univers ? De l’humain pensant à l’univers pensé, il paraissait singulièrement plus de distance qu’il ne se découvre aujourd’hui. Aucun ordre objectif de « la nature des choses » ne se pouvait présenter aux intelligences entêtées d’une accommodation cosmique aux fins de l’individu.

Hélas ! Ces aïeux si lointains, dont l’atavisme intellectuel ne pouvait être que d’animalité, nous ont nécessairement transmis un handicap de poids mort par lequel l’évolution mentale, anxieuse d’objectivités, se charge d’une permanence de retardements. N’est-ce pas encore aujourd’hui, sous la rigoureuse contrainte des impulsions d’ancêtres sans acuité intellectuelle, que des générations présentes continuent de vivre une vie d’interprétations désorbitées ?

Sans doute, les conceptions des anciens jours ont dû nécessairement s’élargir, pour s’accommoder aux développements des connaissances progressives. On ne peut pas demander aux sociétés « civilisées » d’être faites aux mesures d’une cérébration de sauvage. On se contente de les vouloir toujours modeler, dans le cadre des compréhensions primitives érigées en article de foi, malgré les démentis quotidiens de l’observation contrôlée.

Peut-il être une plus grande folie que de s’ingénier à vouloir