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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/273

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AU SOIR DE LA PENSÉE

Soyons ce que nous sommes : ce pourrait être assez beau.

Il faut bien le dire, nos termes de vérité et d’erreur ne peuvent représenter que des approximations humaines de cet univers dans l’élan de notre prime-saut vers des horizons d’ « absolu ». Puisqu’il n’y a rien en nous que des relativités, des rapports contingents de nos phénomènes organiques et des phénomènes d’un Cosmos d’enchaînements sans fin, comment l’absolu de notre connaissance pourrait-il être autre chose qu’une déformation, un désordre de nos relativités. Ne sommes-nous pas là tout simplement en présence d’un de ces pseudo-problèmes où se sont épuisés d’impuissance, depuis tant de siècles, les plus beaux génies de l’humanité ?

S’il ne vous faut décidément rien de moins que l’éternel absolu, je le confie pieusement à votre garde, avec la charité de mon indulgence pour le jour où vous découvrirez que la pomme d’Hespéride n’est vraiment, comme disait le poète, qu’un innocent légume méconnu. Si, d’expérience, nous ne trouvons dans le monde que des rencontres d’oppositions qui se composent, de quelle valeur peut-il être, dans l’infinité de l’espace et du temps, que l’absolu verbal de l’homme de nos jours se débatte plus ou moins heureusement en des tourbillons qui ne comporteraient pas même un temps schématique de relations évoluées ?

La charrue, la bêche, la pioche ont changé et changeront encore — outils de relativités aux mesures des besoins de leurs fabricateurs. Nous nous en accommodons au jour le jour, non sans chercher des appropriations meilleures, loin de les jeter là parce qu’elles ne sont pas le dernier mot d’une immuable adaptation à nos mouvantes capacités. N’est-ce pas à peu près le cas des instruments de notre connaissance ? Comment concilier l’absolu de notre verbalisme avec l’assentiment que lui refuse le contradicteur, qui est du monde au même titre et sous la même loi que tout autre élément de l’univers partout et toujours cohérent ?

La sagesse n’est-elle pas d’accepter notre condition telle que nous l’impose une incoercible destinée ? Notre relativité même laisse le champ libre à tous vols d’imagination. Quittez la terre, ô vous qu’elle humilie. La fermeté de ses rocs à gravir suffit à nos ambitions. Le christianisme fut fondé par des foules idéalistes en quête d’un renouveau d’émotivités. La connaissance