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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/380

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COSMOGONIES

demander aux dimensions de notre propre corps l’étalon de nos mesures : pouce, pied, pas, coudée ? Innocemment, Moïse voulut une journée de genèse pour des formations ultra-millénaires que, d’ailleurs, la Toute-Puissance de Jahveh aurait pu aussi bien accomplir dans le temps d’un éclair. Dès que nous arrivons à déterminer les distances des astres et la durée de leurs révolutions, les chiffres nous confondent. Pour les simples sédiments planétaires, le géologue exige des mesures de temps où nos mètres sont vite perdus. De même pour l’histoire de l’homme, ou le cours des âges lointains nous déconcerte parce que nous rapportons toutes périodes à l’étalon de notre journée, tandis que l’immense étendue des temps sans histoire échappe au cadre de nos mensurations. De toutes parts nous débordent l’espace et la durée.

Comment, au seuil de ces abîmes, la jeune humanité, irrépressiblement émue du caractère « divin » des affabulations dont le chef de famille accepte et même revendique l’autorité, n’aurait-elle pas employé le meilleur d’elle-même à perpétuer la tradition suivie de père en fils sur la matière capitale de sa propre existence ? Chez tous les peuples de la terre, aucune hésitation. Aucune résistance même ne serait concevable si l’homme-enfant n’avait grandi, si l’esprit humain n’avait évolué. Le dogme nous veut une âme immuable, et l’homme qui, par elle, doit vivre, décidément se meut : c’est la clef du conflit.

La difficulté capitale est que l’évolution de l’esprit devance de trop loin l’élimination correspondante des émotivités de notre compréhension primitive. Après avoir contrarié le progrès de la connaissance, le Mos Majorum (la coutume du nombre) se cantonnera dans ce qui subsiste des forteresses de méconnaissances pour tenter d’accommoder à ses convenances les déchets de fictions trop évidemment menacés par les heurts d’une observation lente à se consolider. De là toutes ces contradictions de la vie qui mettent si cruellement aux prises ce que nous pensons, ce que nous disons, ce que nous faisons. Redoutable enchevêtrement des phalanges de rêves, d’idées, de volontés, ou toutes les confusions intellectuelles, tous les intérêts sociaux se rencontrent pour obscurcir les timides lueurs d’une brumeuse aurore de vérité.

Ainsi les complexités d’évolutions en viennent à s’accumuler,