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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/484

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COSMOLOGIE

supérieure par les âpres tourments d’une fragile destinée.

Serait-il donc possible qu’il n’y eût pas là les éléments d’une poésie de beautés, d’un drame de sensibilités dont l’ampleur compense magnifiquement les maux que les prières, rites et sortilèges n’ont pu conjurer. Mal et bien n’ont qu’un temps, puisqu’ils s’usent d’eux-mêmes. La vie s’essaye à prolonger, à renouveler les plaisirs. Au Léthé les douleurs.

Comparer le grand rythme cosmique de notre poésie des activités de l’univers avec l’empathie monotonie du Psalmiste fatiguant son "Seigneur" de ses flagorneries. Le fabuliste veut que tout flatteur vive au dépens de celui qui l’écoute. Était-ce donc là votre espérance, ô saint roi David ? Quand Boileau chantait « l’héroïsme » de son roi au théâtral passage du Rhin, il avait pour excuse un Louis XIV assez peu clairvoyant pour se faire une illusion sur lui-même. Dieu, lorsqu’on lui parle de son « exaltation », de sa « gloire », qu’en saurait-il penser, puisqu’il ne peut, à ses propres yeux, être ni exalté, ni glorifié, ni même simplement grandi ? Il est le Tout absolu, et pour obtenir ses faveurs on lui parle de sa « puissance ». En quoi cela peut-il donc le toucher ? Ne peut-on supposer qu’il se connaisse ? Êtes-vous donc si vite à bout de souffle, ô roi-poète ? Combien nos cœurs de simple humanité sont-ils au-dessus du vôtre, quand nous nous détournons du bas office des flatteries dont, flatteur ou flatté tour à tour, vous avez connu les misères, tandis que nous atteignons, nous, dans la pleine abnégation de nous-mêmes, la plus haute émotion de l’univers, en son humanité ?


fin du tome premier