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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/67

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AU SOIR DE LA PENSÉE

monde savant de nos jours voue un culte de latrie à cette Divinité impersonnelle, progrès au delà duquel il paraît fort difficile de procéder.

Je me contenterai donc de proposer que, jusqu’à nouvel ordre, ce culte de positivité ne soit pas poussé jusqu’à un monothéisme de l’énergie, car, avec ou sans déification, le mouvement suppose quelque chose qui se meut, et quand M. le docteur Lebon triomphe d’avoir découvert une dématérialisation de la matière, je me demande si le monde ne va pas se dissiper en fumée, au risque de nous laisser sans support. En temps et lieu je reviendrai sur cette grave affaire, car si j’ai bien soin de m’en tenir, avec nos physiciens, au terme d’énergie pour une généralisation des mouvements cosmiques, je ne voudrais point laisser métaphysiquer le dynamisme universel, sans protestation.

L’énergie, la substance, sont deux aspects des choses dont il ne semble pas aujourd’hui que notre intelligence puisse aisément se passer. L’abstraction vient en aide à notre activité mentale en détachant l’un de l’autre, pour nos analyses, les concepts de mouvement et de substratum. C’est une opération de l’esprit humain peut être sans correspondance objective. Pas plus qu’un mouvement sans mobile, une matière immobile ne saurait correspondre à nos observations. Notre sensibilité s’émeut à des compositions de mouvements incluant la réalité d’une substance émue, ou plus simplement mue, pour ne rien préjuger. Si l’atomique électron n’est rien de plus qu’un trou dans l’éther, comme le veut Clausius, encore prend-on la peine de mettre quelque chose, qu’on ne connaît pas et qu’on dénomme éther, autour de cette absence de quelque chose qui fait le trou. Cela dit pour attester que nous demanderons rigoureusement de la science d’observation les comptes que nous refuse la Divinité.

Si j’ai cru devoir anticiper d’un mot sur ces postulats de notre connaissance positive, c’est que je vais faire de même pour nos postulats de la connaissance imaginative, afin de saisir, sur le vif de naître, les Dieux qui ne sont, eux aussi, qu’un moment d’humaine évolution. Lueurs des choses dont la rencontre pourrait commencer d’éclairer notre route. Signaux de directions à reconnaître, avant de s’engager dans la nuit étoilée des éléments.