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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/165

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au soir de la pensée

péremptoirement la tentative de détacher l’organisme supérieur des organismes inférieurs échelonnés en série. Il y a moins de différence du pithécanthrope (sans âme) à l’homme de la Chapelle-aux-Saints (avec âme dubitative) que de l’amibe au poisson-volant. Les identifications caractéristiques de morphologie, si elles ont une signification appréciable, doivent nécessairement la conserver à tous les étages de la série. Des liaisons de phénomènes observés un irrésistible enseignement de filiation se dégage — que cela plaise ou non aux doctrinaires des méconnaissances prolongées.

Le transformisme est la mise en action des enchaînements de la paléontologie. Les espèces végétales ont précédé les formations animales, comme en témoignent les fossiles des terrains primaires ou aucune trace ne se rencontre des animaux qui n’auraient pas pu vivre dans l’atmosphère de ces âges. Lentement s’ordonne devant nous toute la chaîne des organismes — espèces, genres, familles, ordres, classes, embranchements — sans que rien ne nous montre des signes de fissures aux fondations.

Cette hiérarchie, sans commencement ni fin, a-t-elle un sens positif à pénétrer, ou n’est-elle, pour notre intelligence, que vanité d’amusement ? Si de ces innombrables rapports, il n’est aucune raison d’être, s’ils ne sont rien que des hasards de juxtaposition hors de toute procédure interprétative — un trompe-l’œil sans raison de tromper — alors, ce n’est pas seulement les espèces, les genres, etc., qu’il s’agit de détacher les uns des autres, c’est tout l’ordre de la nature qui veut être, pièce à pièce, réduit en une poudre de discontinuité. Le monde, en ce cas, fait d’éléments disjoints, ne sera plus que chaos d’aventures sans aucun ordre de relations à interpréter. Par là même tout effort de connaissance n’aura plus de justification puisqu’il ne peut être question de pénétrer des désordres de relations pour atteindre un ordre de continuités. Il faut que tout soit d’une coordination de rapports, ou que l’univers cohérent disparaisse. Rapports d’engendrement, de filiation, d’évolution, ou le néant. Comprend-on pourquoi métaphysique et théologie se voient réduites le plus souvent à nier l’évolution, sans tenter d’y substituer aucune interprétation positive des enchaînements de vie qui s’imposent à notre intelligence ? S’il n’y a pas d’évolution, il ne peut y avoir, comme le voulait Cuvier, que des à-coups de créations fragmentées. Un