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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/251

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au soir de la pensée

tions (ce qu’expliquerait, pour une partie, le vol à vent contraire) sollicitent, sans doute, l’entreprise aux premiers frissons de l’automne. J’ai vu un jeune ramier, né dans Paris, se tuer aux barreaux de sa volière par ambition de l’inconnu.

Au littoral de l’Océan, dans nos forêts de pins maritimes, les émigrations se succèdent, de période d’aller en période de retour, avec une régularité qui ne trompe jamais. Les hirondelles ne sont pas les premières à partir ; Mais elles paraissent tôt sensibles aux refroidissements de l’atmosphère, et, comment que la décision soit prise et, le signal donné, une commune résolution rassemble, pour une communauté d’accomplissement, des groupes de familles entre lesquelles j’ai remarqué, au cours de l’automne, des habitudes de communications.

Il y a des convocations précises en des points déterminés. Selon quelles règles ? De petits groupes s’organisent par des visites préalables en des régions voisines. Il faut des accords et l’autorité d’une décision suprême pour le choix des lieux de rassemblements, comme, sans doute aussi, pour les directions. J’ai souvent été témoin de ces consultations préliminaires. Diverse en est la durée. Parfois, quelques heures suffisent pour toutes dispositions. J’ai vu des débats se prolonger. Des rassemblements aux fils télégraphiques ou aux tuiles des toits. Puis des vols affairés avec de petits cris en pleine course. Il y a là des enchaînements d’impulsions caractérisées, au même titre que nos gestes et notre langage ; correspondant à des accords par l’emploi de signes vocaux. Aux repos, le passant perçoit d’une façon distincte des appels de voix, en mode mineur, suffisants pour un auditoire tout rapproché. Des groupes secondaires rallient l’assemblée principale et disparaissent vivement. Tout un monde est en émoi.

Par une raison que je ne connais pas, les formations résidant aux régions du Nord ne se mettent en mouvement qu’après les autres, et — soit fatigue, soit besoin d’achever toutes dispositions pour la grande traversée — je les vois de ma fenêtre, à quelques mètres de la vague, rassemblées, un beau matin, sur les fils de fer de ma clôture, têtes tournées du côté de la terre, se touchant d’aile à aile comme pour une finale délibération. De temps à autre l’une des voyageuses se déplace brusquement pour se fixer en un autre point de l’assemblée où sa présence,