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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/261

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au soir de la pensée

pourrait-il échapper aux émotions admiratives des formes, des couleurs, des reliefs, des grâces d’assemblages en perpétuel mouvement ? Il y cède. La perfection des images du quaternaire (scènes de chasse ou de vie familière) est d’un trait sincèrement épris des contours dans les complexités de la vie. J’ai gardé dans mon souvenir une figure de cheval de justesse dramatique dans l’expression confiante d’une béatitude amie. L’homme, et surtout la femme, sont à peine regardés. L’esthétique de la forme ne s’en impose pas encore. Le bison, ennemi, obtient, dans sa fureur, la chance d’une étude achevée. Des siècles s’écouleront, en des mouvements de rapports où joueront simultanément l’intérêt utilitaire aussi bien qu’une éventuelle douceur d’émotivité : la poursuite féroce du plus faible, les cruautés familières de la domestication parmi des épanchements d’amitié.

Je ne fais qu’en prendre acte, content de voir, dès les premiers âges, quelques âmes d’élite nous préparer à une bonté active envers les hommes, en commençant par les animaux[1]. Il y a des degrés d’insensiblité dans notre pitié des choses. Nous ne voyons pas que les ruminants s’arrêtent à d’instinctifs ménagements pour les savoureuses graminées.

Achevée aux égoïsmes purement physiologiques, il n’est pas indifférent qu’une acceptation des conditions de la vie, adoucies de tempéraments humanitaires, en vienne à désauvager les parties animales de nos sociétés pour nous inviter aux actes de commisérations relatives qui nous rehaussent dans notre estime de nous-même. Le sentiment parle souvent très haut chez la bête. Faudrait-il donc que l’homme lui en laissât le privilège ? Qu’est-ce que des traits épars d’une compassion, trop souvent fondée sur le calcul d’une récompense, hors de cette généralisation de charité humaine qui nous élève au-dessus du commun verbiage dans la mesure, trop souvent imparfaite, des correspondances de réalisations ?

L’entrée d’une sentimentalité humaine dans l’ordre de la

  1. Il me semble que Descartes lui-même, au risque de se dédire, ne se fût pas effarouché d’une recommandation de pitié pour les animaux. Bonté pour les locomotives serait sagesse encore aujourd’hui, puisque de notre propre intérêt. Après sa prédication de pitié à la cour du lion, le renard de Florian, invité à choisir sa récompense, répond innocemment : « Sire, quelques dindons ». C’est un renard, et nous sommes des humains, mais de cousinage.