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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/273

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au soir de la pensée

le drame finit bien ou mal, les mouvements de la foule seront diversement manifestés. Quel crédit eût trouvé le sacerdoce si sa pièce n’eût ouvert de larges avenues aux candeurs faciles à contenter ? Si la fiction littéraire du drame cosmique permet que nous nous trouvions satisfaits d’un altruisme divin qui aboutit à des tortures, quelles réfections, quelles explosions d’émotivités aux achèvements d’une tragédie d’un jour dans les révolutions de l’éternité ! S’être proclamé le reflet du Dieu suprême, et se résoudre à n’être rien qu’une étincelle d’incendie, n’est-ce pas déchéance après l’ivresse d’une apothéose d’imagerie ! Mais quels retours d’enivrements dans un corps à corps avec le Cosmos où notre conscience, fût-elle d’un jour, formule des lois de l’infinité.

Qu’il lui plaise ou non, l’homme, en lutte avec l’homme, aussi bien qu’avec le monde, doit poursuivre sa voie à travers les péripéties qui lui assignent des déterminations organiques dont il ne peut se dégager. Vouloir dicter des dénouements humains à l’univers, qui met au même rang les rencontres des atomes et des voies lactées, n’est qu’enfantillage. La première détermination cosmique est qu’il n’y a pas de dénouement dans le monde, puisque rien ne demeure et que tout continue.

L’humain, dont la joie suprême fut de se laisser bercer aux mythes des théologies, sera-t-il de taille, sa révolution mentale accomplie, à oser entreprendre, par ses propres moyens, la conduite rationnelle d’une vie réalisée à l’inverse des anticipations surannées ? Le problème est posé plutôt que résolu. Les Providences officielles de tous les cultes ont clairement failli à la mission qu’elles s’étaient arrogée. Fortes encore de l’autorité verbale des sacerdoces, elles ne répondent plus aux besoins profonds des intelligences éclairées. Bientôt, nous n’aurons plus de recours que dans l’expérience positive, et cette expérience, maîtresse de la pensée, il n’est point de rêve pour la dominer.

En fait, c’est une succession de mouvements émotifs, bien ou mal fondés, qui mène l’homme aux décisions, aux entreprises de la vie. De ces entreprises, la plus haute, la plus urgente, et la plus chanceuse en même temps, n’est-elle pas, pour chacun, de se connaître lui-même en vue d’une direction de ses propres activités ? Le propos est ancien. Le Dieu solaire de Delphes lui avait, depuis longtemps, donné ce conseil, mais en négligeant