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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/284

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l’évolution

Mon propos est de noter des passages, ce qui ne m’interdit pas la hardiesse de l’essai d’une vue coordonnée. Le protagoniste et le spectateur, qui sont en moi confondus, ont droit aux mêmes satisfactions d’esthétique et de connaissance positive avec le recours nécessaire de l’imagination. En qualité de spectateur, chacun de nous sera fort exigeant. Tout occupé de son jeu, l’acteur se montrera plus accommodant. La confrontation des deux masques est la matière subtile d’un dénouement qui n’est pas une fin. Sommes-nous bien sûrs, d’ailleurs, que le meilleur critique se trouve en même temps, le moraliste le plus propre à entrer, comme on dit « dans la peau » de son personnage. Il est d’un bel effort d’analyser sa vie. Plus beau sera-t-il encore de la composer droitement. Rien de tel, pour nous mettre en route, qu’une probité de vouloir.

Dans l’ouragan des énergies, le drame évolue. Avec leur cortège d’émotivités répandues, les scènes de tout instant se renouvellent sans fin dans l’unité du personnage tragique que la vie et ses réactions ont diversement composé. Sur le même fond d’activité scénique le « héros », modeste ou grandiloquent, sous son masque de théâtre, poursuit les chances de l’action — plus souvent préoccupé des manifestations de la galerie que de son suffrage intime, qui, seul, à ses yeux, devrait compter. Le dénouement, pour tous, étant de la vie humaine, le nœud gordien de notre existence, quoi que nous décidions de nous-mêmes, n’en sera pas changé. Pour l’homme issu des élaborations de connaissances, il s’agit de soutenir les émotivités qui s’ensuivent : l’intérêt n’en sera même que plus vif du mouvement dramatique, en des splendeurs aussitôt évanouies qu’apparues, comme d’épars dans l’horizon d’obscurité.

C’est à cet instantané d’existences, si nous comprenons notre rôle, qu’il nous incombe de nous attacher. Ce que peut faire, pour les désordres de l’humanité, la tentative de nous encadrer dans l’infini qui ne comporte point de cadres, nos annales l’ont assez clairement montré. Les plus beaux développements d’altruisme verbal transposés en de sanglantes dominations ; Bossuet célébrant la Révocation de l’édit de Nantes, le sacerdoce de nos jours oubliant ses bûchers d’hier pour se faire gravement le champion intransigeant de la « liberté », tout cela n’est-il pas assez clair ?