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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/298

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les âges primitifs

dans des espèces primitives. Le singe aura peut-être profité d’une rencontre d’évolutions. Quand le pithécanthrope descendra de son arbre[1], c’est que l’évolution en cours lui aura apporté la tentation de fouler la terre en attitude de vainqueur.

Quiconque a vu les singes, dans leurs pays, s’abandonner aux délices d’une gymnastique éperdue, ne contestera pas que l’état arboricole ait puissamment contribué au redressement final, avant que l’anthropoïde érigé eût cédé à l’attrait des investigations du sol. Dans leurs folles voltiges, les singes de l’Inde ne connaissent pas de plus grand plaisir que de bondir de branche en branche jusqu’aux brûlantes trouées du soleil. On les voit s’élancer en plein vol d’un côté de la route à l’autre, tête renversée et bras tendus, dans l’ivresse de l’attirance céleste, comme des flèches de vie humaine qui vont trouer les flammes de l’azur. La fête d’un redressement dans le ciel avant que la terre ne réclame son dû.

On ne s’étonne pas que l’Indien les vénère théologiquement, en gratitude du secours que leur prince magicien Hanuman apporta jadis à Brahma, dans sa lutte contre les Divinités titanesques des premières cosmogonies. Au temple de Kali, près de Bénarès, l’accès leur est ouvert du sanctuaire interdit au profane européen. Aux corniches des palais qui dominent le Gange, l’œil simiesque, adouci d’une philosophie surhumaine, dans les broussailles blanches d’une barbe vénérable, oppose à nos agitations l’immobilité songeuse d’on ne sait quel dédain d’arbitrer. Pas un geste du précurseur qui ne réponde à quelque mouvement de nous-mêmes. La vice-humanité du quadrumane obtient plus de respect, au pays du Ramayana, que la vie de l’homme évolué. Notre fortune étant d’un degré de conscience qui nous permet d’objectiver le monde, ne peut-il nous venir un orgueil des ascendances lointaines par nous si remarquablement achevées ?

De ce point de vue, l’enchaînement organique commande le redressement mental qui en est la manifestation complémentaire,

    même de la marmotte et du chien de prairie, qui pourtant ne grimpent pas. Le chien prend la station assise à l’amorce d’un appât. Il apprend même à marcher debout. Le canard est horizontal avec le cou en voie de redressement. Le canard dit « coureur indien » se redresse vraiment. Le pingouin est redressé.

  1. Pithecanthropus erectus.