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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/315

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au soir de la pensée

de proche en proche, pour se consolider dans l’homme, le dernier venu des vivants.

Cependant, le verbalisme de nos classements de connaissances a paru séparer des phénomènes qui sont joints. Tous états d’interdépendance dans la chaîne des phénomènes nous apparaissent comme isolés, pourvus d’une existence particulière, ainsi qu’on le vit bien dans la fameuse discussion sur l’origine des espèces, pour chacune desquelles Cuvier réclamait une création particulière, en attendant la loi de l’évolution.

Comment discuter la question de savoir si l’homme quaternaire fut passagèrement monothéiste, puisqu’il n’y a pas, à cet égard, le moindre vestige d’argument en dehors de la proclamation moderne des « droits de Dieu », dont le vrai miracle est que les hommes aient dû se charger de les défendre, à défaut de la Toute-Puissance intéressée. Chez l’anthropoïde en voie de s’humaniser, pas plus de manifestation cultuelle que chez ses ascendants. Pour l’homme réalisé au point d’intelligence qui suggère l’interrogation du monde avant les recours de l’observation, quelle autre ressource que de s’abandonner aux chances de l’imagination ?

C’est de ce point de vue que j’ose trouver dans l’élan religieux de l’humanité primitive, le signe originel du passage accompli de l’anthropoïde à l’homme redressé. N’est-ce donc pas faire à l’hypothèse divine une assez belle part que d’y voir la primitive caractérisation de l’homme s’ouvrant à la conscience de lui-même et du monde dont il est prisonnier ? Étape décisive, pierre de touche universelle de l’être qui a franchi le pas de l’animal à l’homme, en attendant les développements cérébraux qui vont suivre. L’homo religiosus, avant l’homo sapiens en préparation. Seulement, rappelons-nous qu’il n’y a pas plus de premier homme que de dernier pithécanthrope redressé, parce que les classifications que nous pouvons établir aujourd’hui ne nous auraient point offert de signes suffisants pour fixer nos dénominations. Il a fallu du temps pour établir, des cloisonnements séparés de phénomènes inséparables, des signes d’expression.

Ce qui achèvera de troubler toutes ces distinctions, c’est que l’homo religiosus, qui est un produit temporaire de l’entendement humain, va subsister longtemps, très longtemps, à travers