Aller au contenu

Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distinguée de M. l’abbé Mainage, professeur à l’Université catholique de Paris. L’ouvrage est pourvu d’un imprimatur de quatre éminents censeurs, lesquels, sans donner leurs titres scientifiques ou religieux, déclarent qu’ils n’y ont rien trouvé « qui s’oppose à ce qu’il soit imprimé. Nihil obstat », disent-ils gravement. Soyez remerciés, mes bons pères. Si le malheureux Galilée avait eu l’idée de solliciter l’imprimatur de Rome pour ses calculs d’astronomie, l’Inquisition nous est témoin que la terre eût attendu le temps requis pour obtenir de Rome l’autorisation de tourner.

D’avance, notre savant abbé s’est montré soumis. Il a pu éviter ainsi la sensation des fagots où s’échauffa la charité de son Église. En revanche, peut-on craindre que, l’intérêt de la foi primant tous autres aux yeux de l’auteur, sa doctrine n’en puisse souffrir lorsqu’il s’agit de concilier les légendes juives avec des découvertes que les prophètes ne pouvaient soupçonner. La sincérité de l’écrivain ne saurait être mise en cause. Seulement, ses assertions n’en sont que plus périlleuses quand elles accusent cette déviation supérieure de l’intelligence qui veut inconsciemment contraindre les faits de s’accommoder à l’idée préconçue.

M. l’abbé Mainage, par exemple, écarte sans débats le phénomène de « l’évolution ». Je ne saurais discuter ici les raisons trop puériles qu’il en donne. S’il s’était trouvé d’un avis contraire, que fût-il advenu de l’imprimatur ? De son autorité, encore, fait-il bravement l’homme quaternaire, « monothéiste », pour se trouver aussitôt dans l’obligation de le regarder choir, d’une façon inexplicable, en des cultes grossiers. Je ne puis me résoudre a débattre sérieusement avec lui là-dessus. Car si Jahveh s’est plu à faire Adam faillible, quelle faute de n’avoir pas implanté plus solidement sa propre « Révélation » au cœur de l’humanité !

Pour expliquer les cultes primitifs, dont des vestiges subsistent jusque dans nos églises[1], l’éminent abbé nous dit que la pure croyance monothéiste de l’homme quaternaire, dont il ne reste aucune trace, s’est vu déformer par « les esprits

  1. Par exemple le culte du feu, représenté par les cierges qu’on fait pieusement brûler à toutes fins de bonnes chances et spécialement de guérisons.