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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/333

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au soir de la pensée

devant nous qu’en des vestiges propres à des fondements d’expérience inductivement liés. Eussions-nous tous les squelettes qui sont en poudre, que les moulages endocrâniens ne nous permettraient pas toujours de saisir au passage les nuances imperceptibles d’une lente ascension mentale de palier en palier. Des cogitations de l’anthropoïde supérieur au début des pensées de l’humain inférieur, qu’attendre de plus qu’une gamme de tressaillements, de degrés en degrés, jusqu’à des différenciations où se déterminent les premiers caractères d’une conscience d’humanité.

Ces vues, sans aucun doute, choqueront d’excellentes gens, d’intelligence ancestrale, solidement implantés dans une cérébration primitive par d’archaïques réflexes cultuels auxquels la connaissance positive ne peut se substituer que pas à pas. En dépit de nous-mêmes, nous ne pouvons nous résoudre à voir l’homme primitif tel qu’il fut, en arrière de nos présents sauvages, d’après les vestiges qu’il nous a laissés. Nous voulons nous retrouver nous-mêmes, hommes d’aujourd’hui, non seulement aux grottes de l’âge quaternaire, mais jusqu’aux plus lointaines rencontres des temps où des presque-hommes et des presque-femmes hésitèrent peut-être entre des unions qui pouvaient rejeter les générations futures en des régressions de primitivité. Et puis, nous nous obstinons à chercher partout des coups de théâtre dans l’histoire des phénomènes, tandis qu’en des passages à peine sensibles s’accomplit l’évolution organique par laquelle nous fûmes et sommes déterminés.

Une autre erreur, déjà signalée, serait d’attendre une unité de descendance générale des vestiges fossiles que montrent nos musées. Indéfiniment multipliées, les évolutions supposent d’un tronc commun, un nombre incalculable de directions différenciées qui peuvent nous offrir des diversités d’exemplaires à tous degrés. On ne saurait donc rencontrer toujours le lien direct entre des pièces fossiles d’analogies positives que nous faisons parler dans le sens de l’étroite dépendance d’une succession continue. Qu’importe, puisque tous ces mouvements procèdent d’un même point de départ, laissent en route assez de jalons pour repérer des parallélismes ou des divergences, dont le résultat final sera de l’évolution d’un tronc commun vers des successions d’effets nettement caractérisés.