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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/351

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au soir de la pensée


supplément de construction pour nous donner les allées couvertes, et même l’admirable édifice de Saumur — habitation, citadelle, ou temple, peut-être ces trois destinations à la fois. Il se pourrait très bien que le dolmen fût simplement la représentation symbolique de l’habitation humaine chez des peuples à qui la hutte de branchages commençait à ne plus suffire. Les cromlechs déterminent une enceinte admise, probablement comme « sacrée ». Le menhir, parfois tout près d’un personnage, se prête plus aisément à toutes interprétations.

De cet enchaînement de remarques, où je ne mets rien de plus que des indications ; il pourrait résulter que nos pierres levées marquassent un moment décisif dans le phénomène général, de l’évolution du pithécanthrope à l’humain caractérisé. Nous tiendrions enfin la trace authentique de ce premier homme si vainement cherché, dont l’acte décisif aurait été de dresser une pierre — non de tombeau, mais de naissance — pour dire aussi haut que possible aux habitants de la terre et du ciel : « Me voilà. » De cette simple exclamation, qui n’était pas encore interrogative, serait issue, par des enchaînements successifs, toute la civilisation. de notre humanité.

On s’expliquerait alors le phénomène humain de ces énormes blocs destinés à parler assez haut, pour donner une idée décisive de l’effort mental dont nos premiers ancêtres sentirent tressaillir en eux l’événement. On comprendra très bien que cette impulsion, généralisée jusqu’à devenir le premier lien commun de toute l’humanité pensante, se soit concrétée en l’universelle manifestation d’un symbolisme intellectuel dont tous les continents ont conservé l’éclatant témoignage. Il faut une idée simple pour une telle diffusion. En ces âges mystérieux, le sauvage destiné à demeurer sauvage et le futur civilisé dont l’évolution prochaine allait suivre, pouvaient et devaient — puisque humains alors au même titre — se rencontrer dans une commune émotion d’eux-mêmes et du monde poussée jusqu’au besoin impérieux d’une clameur d’expression. Les flèches, les haches, tous instruments de pierre universellement répandus, disent assez haut le commun point de départ pour de si lointains points d’arrivée. La difficulté, presque insurmontable, des moyens, est d’un moindre compte dans l’absence d’une supputation de durée. Le besoin organique veut être satisfait. À ce rang dé-