Aller au contenu

Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
au soir de la pensée

du Sauveur divinisé. La suggestion de ce spectacle, c’est que la puissance qui a fait l’ordre actuel peut faire, pour nous surprendre, un autre ordre instantanément. L’ordre établi fut un « miracle ». Non moins « miraculeuse » sera sa subversion.

N’apercevez-vous pas à quel point vous rabaissez votre Divinité, immuable par définition, au rang des incohérences de l’homme changeant ? Votre prétention est de nous découvrir une suprême Providence, et comme vous ne la pouvez concevoir qu’anthropomorphiquement, vous n’arrivez à la construire qu’à la mesure de vos propres imperfections. Faut-il donc vous apprendre qu’il ne devrait y avoir divinement qu’une volonté de permanence, hors d’un changement qui témoignerait d’insuffisantes prévisions. Vous changez, vous, parce que vous ne sauriez tout prévoir. Lui, qui voit et prévoit tout en même temps, veut tout de la même volonté en même temps, et ne peut changer l’état de choses établi par lui même sans s’accuser d’imprévoyance. N’est-ce donc pas pour cela, précisément, que vous me demandez d’admirer l’ordre du monde correspondant à tous besoins ? Si c’est le Créateur lui-même qui s’avise de moyens complémentaires en vue de fins humaines, il faut donc que cette correspondance ait disparu. Quel embarras !

En revanche, tout s’éclaircit sans aucune peine s’il s’agit tout simplement d’un reste des plus antiques conceptions de l’homme primitif créant des Dieux de conditions humaines, et nous léguant un héritage d’insuffisances mentales aveuglément accepté. Ainsi, arriva-t-il que le miracle total de la création du monde, selon Moïse, eut besoin, selon Cuvier, d’être complété par les sous-miracles de créations séparées des espèces où la Toute-Puissance intervenait, à notre appel, pour des interprétations de découvertes que la création en bloc ne venait pas à bout d’expliquer.

Matière minérale et substance vivante, quoi de plus distinct ? dira la commune voix. Il s’agit d’autre chose que d’une appréciation d’apparences. Est-il bien sûr qu’il y ait une phénoménologie plus différente du protoplasma cristallifère à l’amibe que du microbe à l’organisme humain ? Sans doute, le microbe, comme l’organisme humain, est doué de vie, au même titre que Pasteur en personne, mais le miracle est-il plus grand de passer de l’un à l’autre, que de franchir le pas du complexe sédimentaire au protoplasma organique ? Qui a construit de toutes pièces « le