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Page:Cocteau - Le Coq et l’Arlequin.djvu/60

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FRAGMENTS
DE
« IGOR STRAVINSKY ET LE BALLET RUSSE »
(la noce massacrée.)



Je préfère, selon moi, l’enfance douée qui se développe dans un mauvais milieu, se trompe de route, se dépense tout de travers, et découvre enfin soudain son erreur pour s’en affranchir, à l’enfance qui fait ses premiers faux pas sur de bonnes routes, qui progresse normalement, sans un espoir de surprise sauvage. J’excepte le feu de paille, parfois sublime, et qui retombe si le prodige, joignant la sagesse au génie, ne se retire à temps sous un prétexte quelconque. Non. L’indiscipline, le mauvais goût, propres au jeune âge, préservent le don qui préexiste et qu’on délivre dans la suite, péniblement, délicatement, peu à peu, à coups de bêche, comme une Vénus enfouie.

C’est pourquoi ne regrettez pas vos erreurs, même publiques et notoires ; rude boulet qui n’allège pas les fatigues du voyage vers la gauche. On se retourne, on s’éponge ; on regarde d’où on arrive et on s’émerveille. Le principal grief que les gens opposent à ce travail d’Hercule, c’est l’ingratitude. On traverse bien des milieux pour atteindre la solitude relative, et ces milieux nous reprochent d’avoir partagé leur table, d’avoir déménagé à la cloche de bois. Il arrive que le cœur souffre beaucoup d’un itinéraire que le monde met ordinairement sur le compte de l’égoïsme, du désordre et de la versatilité.