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Page:Cocteau - Le Coq et l’Arlequin.djvu/67

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Il convient de signaler ici une particularité de notre salle : l’absence, sauf deux ou trois exceptions, des jeunes peintres et de leurs maîtres. Absence motivée, je le sus beaucoup après, pour les uns par leur ignorance de ces pompes où Diaghilew, ne les flairant pas encore, ne les invitait pas, — pour les autres, par le préjugé mondain. Ce blâme du luxe, que Picasso professe comme un culte, a du mauvais et du bon. Je saute sur ce culte comme sur un antidote, mais peut-être rétrécit-il l’horizon de certains artistes qui évitent plus le contact du luxe par haine envieuse que par apostolat. Toujours est-il que Montparnasse ignore le Sacre du Printemps ; que le Sacre du Printemps, joué à l’orchestre aux Concerts Monteux pâtit de la mauvaise presse gauche des Ballets Russes, et que Picasso entendit du Stravinsky pour la première fois, à Rome, avec moi, en 1917.


Revenons dans la salle de l’avenue Montaigne, attendant que le chef d’orchestre frappe son pupitre et que le rideau se lève sur un des plus nobles événements des annales de l’art.

La salle joua le rôle qu’elle devait jouer ; elle se révolta tout de suite. On rit, conspua, siffla, imita les cris d’animaux, et peut-être se serait-on lassé, à la longue, si la foule des esthètes et quelques musiciens, emportés par leur zèle excessif, n’eussent insulté, bousculé même, le public des loges. Le vacarme dégénéra en lutte.

Debout dans sa loge, son diadème de travers, la vieille comtesse de P. brandissait son éventail, et criait toute rouge : « C’est la première fois depuis soixante ans qu’on ose se moquer de moi. » La brave