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Page:Coignet - Les Cahiers du capitaine Coignet, 1883.djvu/290

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voir le grand pont que nous avions passé la veille ! Tout était parti comme nos chapeaux que nous avions jetés dans le Danube.

Sur le fleuve, en face de Vienne, on avait lâché les moulins qui sont sur bateaux, et ôté les roues qui les faisaient marcher ; on les avait chargés de pierres, et ces masses lancées par le fleuve emportèrent le grand pont. Le grand sacrifice de leurs moulins nous bloqua trois jours dans l’île, sans pain ; nous mangeâmes tous les chevaux qui avaient échappé à la mort, il n’en resta pas un ; les prisonniers faits le matin eurent pour leur part les têtes et les boyaux. Il ne restait plus à nos chefs que la bride et la selle ; on ne peut se figurer une pareille disette, et nous entendions des cris déchirants près de nous… C’était M. Larrey qui faisait ses amputations ; c’était affreux à entendre.

L’Empereur fit sommer la ville de Vienne de réunir tous ses bateaux, et de les redescendre pour faire le pont. Le quatrième jour, nous fûmes délivrés : nous repassâmes ce terrible fleuve avec joie et avec des figures bien pâles. Les vivres nous attendaient à Schœnbrunn où nous arrivâmes le soir. Tout était prêt pour nous recevoir et nos billets de logement préparés. Nous eûmes le temps de nous rétablir pendant trois mois de trêve ; puis les travaux commencèrent dans l’île Lobau : cent mille hommes se mirent à faire des redoutes, des chemins couverts ; on