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Page:Collectif - Lausanne à travers les âges, 1906.djvu/54

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LAUSANNE À TRAVERS LES ÂGES

pressa de lui remettre l’adresse de son fils, l’empereur lui dit : « Mais, madame, faites mieux ; écrivez ce soir à votre fils ; envoyez-moi votre lettre à mon auberge et je la lui ferai tenir. »

Le lendemain matin, à cinq heures, il prenait la route de Moudon. Ses équipages se composaient de deux chevaux de selle et de trois berlines à six chevaux fournis par le voiturier Lacombe de Genève. Il vit à Berne le grand Haller qui, étant malade, le reçut en bonnet de nuit et en robe de chambre, à moitié couché sur une bergère.

Vers la fin du dix-huitième siècle, la société de Lausanne était plus animée que jamais. Dans les salons de M. Deyverdun, de Mme de Charrière de Bavois et de Mme Huber on rencontrait l’abbé Raynal, le spirituel chevalier de Boufflers, M. et Mme Necker et leur fille Mme de Staël, le prince Henri de Prusse, Mme de Montolieu née Polier, auteur des Châteaux suisses, Mme de Charrière de Colombier, née van Tuyll, auteur de Calixte, le prince Galitzin, le futur doyen Bridel, le jurisconsulte de Seigneux, Benjamin Constant, Frédéric-César de la Harpe, Joseph de Maistre, le marquis de Sâles, l’énigmatique baronne d’Holca, qui restaura, en 1792, la paroisse catholique de Lausanne[1]. C’était une vraie école de tolérance : sous l’égide protestante, le catholique le plus dévôt s’y rencontrait avec le voltairien le plus endurci.

La tourmente révolutionnaire mit fin pour un temps à ces mondanités. De 1790 à 1797, plus d’un millier d’émigrés français et savoyards fuyant la Révolution et la Terreur se réfugient à Lausanne, où se trouvent, à un moment donné, un archevêque, deux évêques, cent soixante prêtres ou religieux, un prince, sept ducs et duchesses, deux cents comtes et gentilshommes, vingt officiers, cent magistrats, deux cents négociants et artisans réfugiés. Et l’on vit un jour, à l’hôtel de ville, trois duchesses mangeant à la gamelle.

Mentionnons, à titre de curiosité, que, de 1766 à 1796, les fonctions de bourgmestre furent remplies par un ancien officier au service de France, Antoine de Polier-Saint-Germain, qui fit construire, pour son compte, sur la place de Saint-François, à côté de l’église, la belle maison qui appartenait en dernier lieu à M. Aug. Grenier, et que l’on a démolie, en 1896, pour construire le nouvel hôtel des postes. Ce magistrat avait soixante et un ans au moment de son élection ; il demeura en charge jusqu’à l’âge de quatre-vingt-onze ans ? il faut croire que ses administrés et le Deux-Cents ne lui rendaient pas la vie trop dure. Il devait être fort bien en cour à Berne, car, en 1793, le sénat de la république lui décerna, en récompense de ses longs et utiles services, la chaîne et la médaille d’or d’Hettlingen, distinction fort rare. Il est l’auteur d’un traité de morale intitulé : Du gouvernement des mœurs dont la 3me édition parut chez Lemaire à Bruxelles en 1784.

  1. La baronne d’Holca habitait l’Avant-Poste, à la chaussée de Mon-Repos. C’est là qu’avec l’assentiment des autorités, elle organisa des cultes auxquels les émigrés, alors nombreux à Lausanne, étaient admis. Voir la notice que le R. P. J.-J. Berthier lui a consacrée sous le titre : « La baronne d’Holca, restauratrice de la paroisse catholique de Lausanne. » Fribourg 1894. Imprimerie catholique suisse.