Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(c’est ainsi qu’il donnait cours à son indignation) persistaient à reprocher aux Italiens leur impuissance à traiter en musique les genres les plus élevés. Les premiers parlaient sans cesse de leurs oratorios, les seconds, sans cesse de leurs symphonies. Les uns et les autres devaient-ils donc oublier son immortel ami et compatriote, l’illustrissime Rossini ? Qu’était donc le « Mosè » sinon un oratorio sublime, exécuté sur le théâtre au lieu d’être froidement chanté dans une salle de concerts ? Qu’était l’ouverture de « Guillaume Tell », sinon une symphonie pseudonyme ? Avais-je entendu jamais le « Moïse en Égypte » ? À supposer que je connusse tel ou tel opéra (il m’en nomma trois ou quatre) il prendrait la liberté de me demander si jamais rien de plus sublime et de plus grandiose a été trouvé par le génie d’un homme ? Puis, sans attendre un seul mot ou d’approbation ou d’objection, ne me quittant jamais du regard, il promenait à grand bruit sa main sur le piano, et chantait avec un enthousiasme orgueilleux les morceaux qui devaient enlever mon suffrage. Pour toute interruption, de temps en temps, il me criait d’une voix farouche les titres de ces morceaux : — « Chœur des Égyptiens livrés à la plaie des ténèbres », miss Halcombe ! — « Récitatif de Moïse apportant les tables de la Loi ! » — « Prière des Israélites au passage de la Mer rouge ! » — Ah ! ah !… Est-ce de la musique sacrée ? Est-ce sublime, oui ou non ?… — Le piano tremblait sous ses mains puissantes, et les tasses à thé vibraient sur la table, tandis que tonnait sa forte basse-taille et que son pied lourd battait la mesure sur le parquet.

Il y avait quelque chose d’horrible, quelque chose de féroce et de vraiment diabolique dans les éclats de la joie que son chant et sa musique semblaient lui faire éprouver, comme aussi dans l’air de triomphe avec lequel il constatait l’espèce de fascination exercée sur moi, tandis qu’intimidée et comme asservie, je me rapprochais vainement de la porte sans oser jamais en franchir le seuil. Je fus enfin délivrée de cette obsession, non par mes propres efforts, mais par l’entremise de sir Percival. Il