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Page:Collins - Le Secret.djvu/200

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qu’on pouvait conclure de là, M. Munder, portant en avant sa majestueuse personne, s’adressait, non pas à l’oncle Joseph, ni même à Sarah, mais, en apparence du moins, à l’espace vide qui les séparait.

« Si vous voulez visiter la maison, disait-il, vous aurez la bonté de me suivre. »

À ces mots, M. Munder enfilait solennellement le corridor qui aboutissait au pied des escaliers de l’Ouest, avec cette piaffe lente à laquelle tout Anglais sérieux s’abandonne quand il sort, le dimanche, pour prendre un peu d’exercice. La femme de charge, avec la complaisance habituelle à son sexe, réglant son pas sur celui de l’intendant, exécutait à ses côtés une espèce de polonaise dominicale, comme si elle fût sortie avec lui pour avaler un peu d’air, entre le service du matin et celui du soir.

« Aussi vrai que je suis un pécheur vivant, cette visite dans la maison ressemble, trait pour trait, à un cortége funèbre, » dit tout bas l’oncle Joseph à sa nièce. Il prit son bras, à ces mots, et s’aperçut alors qu’elle tremblait violemment. Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-il sotto voce.

— Mon oncle, il n’est pas naturel que ces gens-ci se soient trouvés si disposés à nous montrer le manoir, lui fut-il répondu sur le même ton… Que se disaient-ils tout à l’heure, de manière à n’être pas entendus de nous ? Pourquoi cette femme ne me quitte-t-elle jamais du regard ? »

Avant que le vieillard eût pu répondre, la femme de charge tournée vers eux, les pria, du ton le plus sévère, de se mettre en marche. Une minute ne s’était pas écoulée qu’ils se trouvaient de nouveau réunis au pied de l’escalier ouest.

« Ah ! ah ! s’écria l’oncle Joseph, aussi à son aise et aussi bavard que jamais, nonobstant la présence imposante de M. Munder en personne… Belle grande cassine, ma foi !… et un fameux perchoir !…

— Nous ne sommes point habitués, monsieur, à entendre parler en ces termes soit du manoir, soit des escaliers qu’il renferme, dit M. Munder, bien décidé à étouffer dans son germe la familiarité de l’étranger. Le Guide du Cornouailles occidental, que vous auriez tout aussi bien fait de consulter avant de vous rendre ici, décrit Porthgenna-Tower sous le titre de mansion,[1] et c’est l’adjectif spacieux qu’il emploie en par-

  1. Mansion, maison noble ; le nom de château (castle) était réservé aux demeures fortifiées.