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Page:Collins - Le Secret.djvu/357

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mière croisière, commençait à songer qu’il était grand temps de se rembarquer. Ni lui ni sa femme n’avaient rien à objecter contre la promesse de mariage, puisque le mineur Polwheal gagnait gros et jouissait d’une bonne réputation. La dame disait seulement qu’elle regretterait beaucoup Sarah, mais beaucoup… Et Sarah répondait qu’il n’y avait rien de pressé à leur séparation… Les semaines passaient ainsi, et le capitaine finit par s’embarquer pour son grand voyage. Vers le même temps, madame s’aperçoit que Sarah s’inquiète, se tourmente, n’est plus la même… et que le mineur Polwheal, deçà, delà, toujours en cachette, rôde autour de la maison, « Oui-da ! se dit-elle, ferais-je, par hasard, attendre, plus que de raison, ces bons jeunes gens ?… J’aime trop Sarah pour que cela dure plus longtemps… » Aussi les fait-elle comparaître, un soir ; elle leur dit quelques bonnes paroles, et charge le mineur Polwheal de faire publier les bans dès le lendemain matin. Or, cette nuit-là même, c’était le tour du jeune homme d’aller travailler à la mine. Le cœur joyeux et léger, il plonge dans ce grand trou noir ; et, quand il en sort pour reparaître au grand jour, ce n’était plus qu’un cadavre… Un cadavre, dont un quartier de roc, tombant à l’improviste, avait chassé la vie fervente et jeune. La triste nouvelle se répand à droite, elle se répand à gauche… Sans préparation, sans ménagements, elle arrive, tout d’un coup, à ma pauvre nièce. La veille au soir, quand elle avait dit adieu à son amoureux, c’était une jeune et jolie fille. Six semaines après, quand elle se releva du lit où l’avait couchée ce fatal événement, ce coup de massue, toute sa jeunesse était partie, ses cheveux avaient blanchi ; et, dans ses yeux, était ce regard effaré qui depuis n’en est jamais sorti. »

Ces simples paroles retraçaient la mort du jeune mineur, et tout ce qui avait suivi, avec une précision, une vérité effrayantes. Rosamond frémit et regarda son mari.

« Oh ! Lenny, murmurait-elle, ce fut une rude épreuve pour moi que de vous savoir aveugle… mais auprès de celle-ci, qu’est-ce donc ?

— Ayez pitié d’elle !… reprit le vieillard… Ayez pitié d’elle pour tout ce qu’elle souffrit alors. Ayez pitié d’elle pour ce qui vint après, et qui fut pire encore. Cinq, six, sept semaines s’écoulent après la mort du jeune mineur. Sarah ne souffre plus autant des souffrances du corps. En son cœur elle souffre bien davantage. Sa maîtresse, affectueuse et bonne pour elle comme une sœur eût pu l’être, découvre peu à peu,