Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/22

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langue est calquée sur le latin, dont elle est la fille : c’est à tel point que nos plus grands écrivains du xviie siècle, avec leur phrase arrondie et correcte, semblent traduire merveilleusement du latin, et sont aussi les plus faciles à tourner dans la langue latine. Montaigne, La Boëtie, Ét. Pasquier, Henri Étienne, d’Ossat, Michel de l’Hôpital, Scévole de Sainte-Marthe, Pierre Pithou, avaient un tour plus gaulois ; mais ils savaient les anciens par cœur. À huit ans, Montaigne traduisait Virgile, et il nous apprend lui-même, dans ses Essais, comment il avait pu devenir grand latineur de si bonne heure. Il n’aimait pas les méthodes de son temps, et il recommandait comme nous les langues vivantes. Mais son père, homme instruit et tenant beaucoup à l’instruction, homme riche aussi — ce qui rend bien des choses faciles — lui avait donné des précepteurs latins, deux bons gros Allemands ; car on allait chercher des latins, des grecs même en Germanie… Qu’en eût dit l’empereur Auguste ? — Ces bons Allemands parlaient latin au jeune Montaigne du matin au soir, et ils étaient flanqués de deux acolytes ne lui parlant aussi que latin, avec quelque mélange d’allemand, j’imagine, puisqu’il recommande les langues vivantes. C’était l’enseignement du latin, à l’instar des mères comme disait l’abbé Mangin sous la Restauration, en demandant des maisons d’éducation de ce genre. On ne procède pas autrement, dans certaines familles, pour l’allemand, l’anglais, et l’on faisait de même au xvie siècle pour l’italien, qui était la langue à la mode depuis nos guerres d’Italie et nos reines italiennes.

Ainsi formés dans leur enfance et connaissant la langue latine usuelle, Montaigne, La Boëtie passaient au fameux collège de Bordeaux ou de Guyenne, le plus florissant de France à cette époque, où professaient des hommes éminents : Nicolas Grouchy, auteur d’un livre sur les Comices chez les Romains ; Guillaume Guérente, commentateur d’Aristote ; Marc-Antoine Muret, « que la France et l’Italie, dit Montaigne — l’Italie était nécessaire alors pour la consécration de toutes les gloires littéraires — reconnaissaient pour le meil-