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pensées, comme Ronsard avait la belle Cassandre, la belle fille de Blois ; ce n’est pas à l’âge de dix-huit ans qu’on parle d’autrefois, du temps passé de sa vie : il n’y a point de passé, quand la vie commence. Ce n’est pas à dix-huit ans qu’on rappelle à un honorable ami, M. de Longa[1], les vers qu’on lui adressait autrefois, alors qu’on s’occupait de rimes françaises.

Ce sont pourtant les expressions de La Boëtie. Entendons le Contr’un, ou le Discours de la servitude :

« Même les bœufs sous le poids du joug geignent (gémissent),
Et les oiseaux dans la cage se plaignent. »

« Comme j’ai dit ailleurs autrefois, ô Longa, passant le temps à nos rimes françaises : car, écrivant à toi, je puis citer de mes vers, desquels je ne lis jamais, que tu ne m’en fasses glorieux, à cause du semblant que tu fais de t’en contenter. »

Qu’était donc ce Discours de la servitude ? C’était la prose succédant à la poésie, l’automne à l’été, l’amitié à l’amour ; on n’était plus au temps où l’on s’inspirait d’une dame dont Montaigne parle à la belle Corisande de Henri IV, à Mme de Gramont, comme ayant inspiré son ami, et dont il promet de lui dire le nom à l’oreille, en lui dédiant les poésies françaises de La Boëtie. Pour sûr, ce n’était pas la belle Corisande, qui n’avait que dix ans à la mort de La Boëtie.

Il y a plus, et je me permettrai une autre observation que les critiques n’ont point faite : ce beau portrait de l’amitié que La Boëtie nous a tracé, ne se comprend guère quand on ne fait qu’entrer dans la vie. Il se comprend, quand on est fatigué, quand on a vécu, quand on a eu des déceptions et des mécomptes. Alors on désire un ami, on veut se reposer sur le sein d’un ami. À dix-huit ans, c’est l’amour qu’on cherche, surtout si l’on a, comme La Boëtie, une âme passionnée et ardente.

  1. Il y a encore des membres de cette famille.