Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/42

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Que voulait-il donc pour nous ? Se serait-il contenté d’une monarchie parlementaire, rêve de tous les parlements, ou, mieux que cela, d’une monarchie représentative, de cette alliance « de la loi et du roi », tant vantée par lui chez les Spartiates, qui en effet avaient des rois, non des rois électifs, comme dans la république de Pologne, mais des rois héréditaires et de droit divin, comme dans les monarchies ? M. Léon Feugère le croit, et je n’y veux pas contredire. J’aime mieux louer La Boëtie pour une chose plus générale, non moins utile et plus incontestée : je veux dire ces nobles et courageux accents pour la liberté ; cette revendication éloquente de la dignité humaine et des droits civils. Je l’approuve surtout d’avoir placé la liberté dans la vertu, d’avoir dit bien haut que le vice est l’allié des tyrans, et qu’une nation corrompue est tôt ou tard une nation esclave. Et ce ne sera pas la louange dernière.

Socrate, dans l’antiquité, attachait à l’instruction une telle importance que, avec une exagération manifeste, il allait jusqu’à dire que l’ignorance n’avait ni vice ni vertu, ni responsabilité par conséquent devant les hommes. Plus tard, un autre philosophe, qui fut aussi un historien profond et un orateur chrétien incomparable, Bossuet, appréciant la civilisation égyptienne dans son Histoire universelle, et donnant à la pensée de Socrate une forme plus sage, louait les Égyptiens d’avoir inscrit ces mots à l’entrée de leurs bibliothèques publiques : « C’est ici le trésor des remèdes de l’âme. » L’âme en effet, dit-il, s’y guérissait de l’ignorance, la plus dangereuse de ses maladies et la source de toutes les autres. » Eh bien ! ce sera la gloire de La Boëtie d’avoir développé cette idée avant Bossuet, et d’en avoir déduit les conséquences morales ; d’avoir affirmé dans un langage élevé et poétique, que la raison éclairée fleurit tôt ou tard en vertu, qu’une instruction sage est nécessaire, et que l’ignorance ne profite pas plus à la moralité qu’à la liberté humaine.