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Page:Comeau - La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe, 1945.djvu/23

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PREMIÈRES ANNÉES

fourrures, était entrée dans le havre. Le capitaine Kennedy, son propriétaire, était descendu à terre, et l’on s’était arrangé de part et d’autre pour mon passage à bord. Comme à l’ordinaire, je flânais d’ici et de là, lorsqu’on m’envoya chercher. En entrant, mon père m’accueillit en disant.

— Alex, tu vas aller à l’école.

Ces paroles me tintèrent toute la journée aux oreilles. La goélette devait repartir le soir même. On empaqueta mes effets à la hâte et, après multiples embrassements, et grandes recommandations de ma mère d’être bon garçon, je fis mes adieux à tout le monde et l’on m’envoya conduire à bord. Le capitaine me donna un bon lit dans la cabine, et me dit d’y aller et de bien dormir.

Sur l’heure de minuit, on levait l’ancre. Je ne pus fermer l’œil de la nuit. Je ne pleurai pas non plus, je me sentais abattu ; le coup avait été si brusque. Je me trouvais au milieu d’étrangers, de rudes matelots, avec un voyage de cinq cents milles devant moi, tout fin seul, et toujours avec ce point d’interrogation qui me tourmentait l’esprit : l’école ! Qu’est-ce que ça peut bien être ?

Jusqu’à ce moment-là, je n’avais pas encore mis le nez dans un livre d’école ; je ne pouvais pas parler un mot d’anglais, et l’on m’envoyait à une école anglaise, et en pension dans une famille anglaise. Il y avait suffisamment de quoi à donner gros à réfléchir à une tête plus vieille que la mienne.

Deux ou trois jours durant, je restai fort tranquille puis je me pris à m’intéresser à la manœuvre de la goélette, en regardant faire les matelots. Le capitaine se montra très bon à mon égard ; il fit de son mieux pour m’encourager et m’égayer, et bientôt je rattrappai l’humeur enjouée et l’insouciance de mon âge.