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Page:Conrad - En marge des marées.djvu/84

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de choses de sa tête, quelquefois rien. Je veux dire que l’histoire n’en, vaut pas la peine : tout ça dépend.

Cela m’amusait de lui parler ainsi. Il manifestait clairement que, à son avis, les romanciers couraient après leur argent, de même que le reste des gens qui vivent de leurs facultés, et que c’était extraordinaire de voir jusqu’où peuvent aller des gens qui courent après l’argent… quelques-uns, du moins.

Il fit une sortie contre la vie maritime : une stupide sorte d’existence, selon lui. Pas d’occasions, pas d’expériences, nulle variété, rien ! Des gens de valeur en sont sortis, il l’admettait. Mais pas plus faits pour réussir dans le monde que pour voler dans les airs. Des enfants ! Ainsi, le capitaine Harry Dunbar. Un bon marin. Grande réputation comme capitaine… Gros homme, des favoris courts et grisonnants, belle figure, forte voix. Un brave garçon, mais pas plus à la coule de la fausseté humaine qu’un bébé.

— C’est le capitaine du Sagamore dont vous parlez ? dis-je enhardi.

Après un méprisant « bien sûr », il sembla fixer du regard, sur le mur, la vison de ce bureau dans Cannon street, tout en grognant et en mâchonnant une description par lambeaux, et en levant de temps à autre le menton, comme si la colère le prenait.

C’était, d’après la description qu’il m’en fit, un modeste bureau, louche pas le moins du monde, mais un peu à l’écart dans une petite rue qui, depuis, a été rebâtie de bout en bout. La septième porte, après le café du Cheshire Cat, sous le pont du chemin de fer. « C’est là que je prenais d’habitude mon déjeuner quand mes affaires m’appelaient dans la Cité. Cloete y venait boire une chope et plaisanter avec la servante. Il n’avait pas besoin d’en dire long pour cela. Rien qu’à la façon dont il faisait étinceler son lorgnon vers vous et contorsionnait sa bouche épaisse, cela suffisait pour vous faire rire avant même qu’il eût commencé à débiter une de ses histoires. Un drôle de type. Cloete. C-l-o-e-t-e, Cloete.

— Qu’est-ce qu’il était. Hollandais ? demandai-je, ne voyant absolument pas ce que tout cela avait à faire avec les mariniers de Westport, les touristes de Westport, et la façon dont ce vieil individu les considérait comme des menteurs et des imbéciles.

— Le Diable seul le sait ! grogna-t-il (les yeux fixés sur le mur comme s’il ne voulait pas perdre un seul mouvement d’une vue cinématographique). Il ne parlait jamais qu’anglais. La première fois que je le vis, il sortait d’un navire dans le bassin, un navire qui venait des