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Page:Constant - Adolphe.djvu/115

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la bizarrerie de notre cœur misérable, que nous quittons avec un déchirement horrible ceux près de qui nous demeurions sans plaisir.

Pendant mon absence, j’écrivis régulièrement à Ellénore. J’étais partagé entre la crainte que mes lettres ne lui fissent de la peine, et le désir de ne lui peindre que le sentiment que j’éprouvais. J’aurais voulu qu’elle me devinât, mais qu’elle me devinât sans s’affliger ; je me félicitais quand j’avais pu substituer les mots d’affection, d’amitié, de dévouement, à celui d’amour ; mais soudain je me représentais la pauvre Ellénore triste et isolée, n’ayant que mes lettres pour consolation ; et, à la fin de deux pages froides et compassées, j’ajoutais rapidement quelques phrases ardentes ou tendres, propres à la tromper de nouveau. De la sorte, sans en dire jamais assez pour la satisfaire, j’en disais toujours assez pour l’abuser. Étrange espèce de fausseté, dont le succès même se tournait