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Page:Constant - Adolphe.djvu/20

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désabusement, chacun redoublera de prévenances, parlera de l’avenir avec de célestes espérances, traitera le reste du monde avec un dédain fastueux, cachera ses larmes sous l’ironie et la jactance, et fera de la ruse le premier de ses devoirs.

Par compassion pour sa victime, Adolphe déguisera son ennui et forcera son regard à sourire. Il étudiera ses moindres paroles pour épargner à sa maîtresse la honte d’un regret. Il s’imposera l’enjouement et la sérénité par délicatesse.

À son tour Ellénore, si elle surprend sur le visage de son amant la trace de l’ennui, craindra de se plaindre et se résignera silencieusement. De jour en jour, elle s’affermira dans cette réserve douloureuse et grimacera l’enthousiasme.

Jusqu’au jour où tous les deux, las enfin de cette pitoyable comédie, jetteront le masque et se verront face à face.

Mais comme ils s’étaient choisis par fierté, ils ne prononceront pas encore le mot d’abandon. Ils renonceront à leur rôle, mais ils trembleront de se dégrader par une franchise trop prompte. Ils n’exalteront plus leur bonheur, mais ils accepteront la satiété comme une expiation,