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Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/29

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ont leur consigne, les accusés des ennemis, les jugements dés batailles.

Ceci n’est point une exagération fantastique. N’avons-nous pas vu, durant ces vingt dernières années, s’introduire dans presque toute l’Europe une justice militaire, dont le premier principe étoit d’abréger les formes, comme si toute abréviation des formes n’étoit pas le plus révoltant sophisme : car si les formes sont inutiles, tous les tribunaux doivent les bannir ; si elles sont nécessaires, tous doivent les respecter ; et certes, plus l’accusation est grave, moins l’examen est superflu. N’avons-nous pas vu siéger sans cesse, parmi les juges, des hommes dont le vêtement seul annonçoit qu’ils étoient voués à l’obéissance, et ne pouvoient en conséquence être des juges indépendans ?

Nos neveux ne croiront pas, s’ils ont quelque sentiment de la dignité humaine, qu’il fut un temps où des hommes illustres sans doute par d’immortels exploits, mais nourris sous la tente, et ignorans de la vie civile, interrogeoient des prévenus qu’ils étoient incapables de comprendre, condamnoient sans appel des citoyens qu’ils n’avaient pas le droit de juger. Nos neveux ne croiront pas, s’ils ne sont le plus avili des peuples, qu’on ait fait comparoître devant des tribunaux militaires des législateurs, des écrivains, des accusés de