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Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/36

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méditées. Si les malheureux objets de ses calomnies étoient facilement subjugués, il se vanteroit de les avoir prévenus : s’ils avoient le temps et la force de lui résister, vous le voyez, s’écrieroit-il, ils vouloiént la guerre, puisqu’ils se défendent[1].

Que l'on ne croie pas que cette conduite fut le résultat accidentel d’une perversité particulière : elle seroit le résultat nécessaire de la position. Toute autorité qui voudroit entreprendre aujourd’hui des conquêtes étendues, seroit condamnée à cette série de prétextes vains et de scandaleux mensonges. Elle seroit coupable assurément, et nous ne chercherons pas à diminuer son crime ; mais ce crime ne consisteroit point dans les moyens employés :

  1. L’on avoit inventé, durant la révolution française, un prétexte de guerre inconnu jusques alors, celui de délivrer les peuples du joug de leurs gouvernemens, qu’on supposoit illégitimes et tyranniques. Avec ce prétexte on a porté la mort chez des hommes, dont les uns vivoient tranquilles sous des institutions adoucies par le temps et l’habitude, et dont les autres jouissoient, depuis plusieurs siècles, de tous les bienfaits de la liberté: époque à jamais honteuse où l'on vit un gouvernement perfide graver des mots sacrés sur ses étendards coupables, troubler la paix, violer l’indépendance, détruire la prospérité de ses voisins innocens, en ajoutant au scandale de l’Europe par des protestations mensongères de respect pour les droits des hommes, et de zèle pour l’humanité ! La pire des conquêtes, c’est l’hypocrite, dit Machiavel, comme s’il avoit prédit notre histoire.