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Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/65

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Compteroit-il sur les secours de ses nouveaux sujets ? Il les a privés de tout ce qu’ils chérissoient et respectoient ; il a troublé la cendre de leurs pères et fait couler le sang de leurs fils.

Tous se coaliseroient contre lui. La paix, l’indépendance, la justice, seroient les mots du ralliement général ; et par cela même qu’ils auraient été longtemps proscrits, ces mots auraient acquis une puissance presque magique. Les hommes, pour avoir été les jouets de la folie, auroient conçu l’enthousiasme du bon sens. Un cri de délivrance, un cri d’union, retentiroit d’un bout du globe à l’autre. La pudeur publique se communiqueroit aux plus indécis ; elle entraîneroit les plus timides. Nul n’oseroit demeurer neutre, de peur d’être traître envers soi-même.

Le conquérant verroit alors qu’il a trop présumé de la dégradation du monde. Il apprendroit que les calculs, fondés sur l’immoralité et sur la bassesse, ces calculs dont il se vantait naguère comme d’une découverte sublime, sont aussi incertains qu’ils sont étroits, aussi trompeurs qu’ils sont ignobles. Il riroit de la niaiserie de la vertu, de cette confiance en un désintéressement qui lui paroissoit une chimère, de cet appel à une exaltation dont il ne pouvoit concevoir les motifs ni la durée, et qu’il étoit tenté de prendre pour l’accès passa-