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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/157

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oubliées lorsqu’elle examinait les côtés solides de sa conduite ; et si quelques doutes venaient encore obscurcir son esprit, le souvenir de l’opinion du docteur Yves, de la charité de Denbigh, de la manière dont il s’était conduit avec Jarvis, et surtout de son dévouement pour sa nièce, ne manquaient jamais de les écarter.

Émilie était l’image vivante de la joie et de l’innocence : si Denbigh était près d’elle, elle était heureuse ; s’il était absent, son humeur douce et égale n’en était point altérée : ses sentiments étaient si vifs et cependant si purs, que la jalousie ne pouvait trouver accès dans son cœur. Peut-être qu’aucune circonstance n’avait encore excité cette passion inséparable de l’amour ; mais comme le cœur d’Émilie était plus subjugué que son imagination, son attachement, quoique plus dangereux pour son bonheur, si les suites en étaient malheureuses, ne se trahissait point par ces inquiétudes et cette agitation qui accompagnent les amours vulgaires.

Jamais elle ne se promenait seule avec Denbigh, mais il lui faisait des lectures lorsqu’elle était avec sa tante ; il les accompagnait dans leurs excursions du matin, et John remarqua deux ou trois fois qu’Émilie prenait la main que lui offrait Denbigh, pour surmonter les petits obstacles qu’elle rencontrait à la promenade, au lieu de venir demander le bras de son frère, comme elle était dans l’usage de le faire auparavant.

— Très-bien, miss Émilie, pensa John après avoir fait trois fois la même observation pendant une de leurs promenades, vous paraissez avoir choisi un autre favori. Que les femmes sont singulières ! Elles quittent leurs amis naturels pour une figure qu’elles ont à peine vue.

John oubliait que dans une autre occasion il s’était écrié lui-même :

— Ne craignez rien, chère Grace, quand c’était sa sœur qui était presque morte de frayeur. Mais il aimait trop tendrement Émilie pour ne pas voir avec chagrin sa préférence pour un autre, quoique cet autre fût Denbigh. Toutefois la réflexion et un juste retour sur lui-même lui prouvèrent combien son mécontentement était ridicule.

M. Benfield s’était mis dans la tête qu’il fallait que le mariage d’Émilie fût célébré chez lui, et le moyen d’amener les choses à ce but désiré, qui le rendrait le plus heureux des hommes, fut le sujet de ses réflexions pendant toute une matinée.